SORTIE VAD/DVD/BLU RAY : « THE SPY » – «SPIONEN », UN FILM QUI MÉRITE DE NE PAS RESTER SECRET !
Voilà que sort, ce 19 novembre, dans l’hexagone, « The spy » (le distributeur français n’ayant même pas fait l’effort de traduire directement le titre original « L’espionne »), un an et un jour après sa sortie en Norvège (son pays d’origine).
N’ayant, hélas, pas les honneurs d’une sortie salles – qu’il aurait amplement mérité -, c’est sur les supports DVD, Blu Ray (le support « vidéo à la demande » étant disponible depuis le 15 de ce même mois) que le public français va devoir se ruer sur « The spy ».
Et, pour vous convaincre de vous précipiter sur ce film, nous vous en proposons notre présentation et critique dans le présent article.
Film du réalisateur norvégien Jens Jønsson, « Spionen » (« The spy » pour son titre international, lamentablement utilisé par le distributeur français du film qui aurait, mieux fait de le traduire directement du norvegien en « L’espionne » – ce qui aurait eu pour avantage de permettre de savoir, immédiatement, que le personnage central est une femme), retrace quelques années de Sonja Wigert – actrice norvégienne qui était la plus grande star, à l’époque, de tout le cinéma et du théâtre scandinave -, correspondant à la période où, tandis que l’Allemagne nazie avait envahi son pays en seulement deux jours et que la Suède craignait que ce soit à son tour d’être attaquée et annexée par l’Allemagne, l’actrice se retrouva à devoir devenir espionne pour la Suède.
En fait, plus qu’un simple film biographique sur Sonja Wigert, c’est une réhabilitation, ainsi qu’un hommage, à cette femme qui vécut avec l’opprobre sur elle, jusqu’à sa mort, le 12 avril 1980 (alors qu’elle n’avait que 67 ans), et qui se poursuivit jusqu’à vingt-cinq ans après sa mort (2005), avec l’ouverture des archives secrètes de la police suédoise, donnant la preuve que, si elle avait été l’amante du Reichkomissar (équivalent de gouverneur de province pour le régime nazi) Terboven, ce ne fut pas par opportunisme et/ou antisémitisme, mais parce que l’État suédois l’employait comme espionne, au plus au degré de la hiérarchie du régime allemand en Norvège (ce qu’elle clama jusqu’à la fin de sa vie mais que, faute de preuves disponibles, la nation norvégienne ne crut jamais et continua à honnir la « collabo » que le pays tout entier était persuadé qu’elle était vraiment). Déjà, rien que parce que « L’espionne » fait se travail de réhabilitation de cette grande dame, ce film mérite, non seulement, d’exister, mais, encore plus, d’être vu. Car, par le cas de la vie de Sonja Wigert, c’est celle d’un grand nombre de personnes ayant été salies par « la société » de part leurs actes apparents, qui étaient nécessaires, en réalité, pour sauver cette même « société ».
Bien sûr, il ne suffit pas à un film d’avoir un but et des intentions louables pour être véritablement intéressant. Encore faut-il qu’il soit de qualité. Car il ne faut jamais perdre de vue que, un film c’est avant tout une œuvre – et, si possible, un chef d’œuvre. Fort heureusement, « L’espionne » est un vrai bon film. Cela, entre autres, grâce à l’excellente interprétation (au sein d’un casting de grande qualité) de l’actrice norvégienne Ingrid Bolsø Berdal, connue au niveau international pour son rôle de Armistice, dans la série « Westworld », et qui campe, ici, le rôle de Sonja Wigert, prenant même un peu l’apparence pour ce qui est des traits du visage, même si cela la rend bien moins belle, tant de l’actrice qu’elle incarne que d’elle-même, au naturel (ce qui, présenté ainsi, est incompréhensible, mais, pourtant, bien réel, à notre propre étonnement). D’une grande justesse dans son interprétation, Ingrid Bolsø Berdal restitue parfaitement, entre autres choses, ce « glamour » et cette féminité naturelle qu’avait Sonja Wigert et que la gent féminine occidentale, dans son immense majorité, a commencé à perdre à partir des années 1980 pour en arriver à la disparition quasi totale à l’époque actuelle. Et l’actrice arrive, aussi, à nous embarquer avec elle dans l’angoisse et le risque de la perte de repères affectifs (des fois concrets) que connaît toute personne devant vivre la relation la plus intime avec un ennemi, qui, comme tout être humain, a aussi ses qualités hors de son « rôle », de sa « profession », et que l’on risque de perdre de vue au point de finir par s’attacher vraiment.
A la qualité d’interprétation de la totalité du casting, s’ajoute le rythme que le réalisateur Jens Jønsson a su donner à son film, utilisant des plans qui, pouvant sembler superflus vis à vis du récit, sont, en réalité, essentiels, plus tard, pour l’action et la tension donnée à celle-ci. De plus, Jens Jønsson a l’intelligence de ne jamais verser dans le pathos malgré les différents moments dramatiques qui émaillent cette histoire. C’est la preuve d’un véritable talent mais, peut être encore plus, d’un véritable respect pour le spectateur.
Nous avons également noté le très bon travail de lumière de ce film, sachant restituer même « l’atmosphère de l’air » de l’époque. Le jeu de contraste entre le monde superficiel des soirées de première de film, de fête dans les cabarets, très chatoyant et celui terne de la réalité du quotidien qui est le fait d’être dans un pays envahi par un régime sanguinaire. Cela se trouve même dans les tenues de l’actrice où un de ses accessoires (chapeau, gants, etc…) tranche par « l’indécence » de leur couleur si vive avec l’ensemble très sobre et même triste de la mise de la femme.
S’ajoute, à cela, un petit détail qui, personnellement, nous a sauté aux yeux, qui réside dans la présence récurrente d’une certaine teinte de bleu, tout au long du film, dans des détails, tantôt de décor, tantôt de costume (une couverture recouvrant Sonja Wigert et le Reichkomissar Terboden, un chapeau de la star, le pull porté par un cycliste passant juste à côté e l’actrice, etc…). Repensant à toutes ces fois où cette teinte de bleue spécifique apparaît, nous en sommes venu à nous demandé s’il ne s’agissait pas d’une sorte de « signal d’alerte » de la présence du danger nazi, dans les scènes en question. En tout cas, ce n’est assurément pas au hasard que revient cette « tâche » de ce bleu dans l’image de certaines scènes. N’ayant rien trouvé à ce sujet-là dans les dossiers de presse et interviews réalisés pour parler du film, nous avons, à présent, rongé par l’envie de poser la question au réalisateur lui-même.
« L’espionne » (« The spy ») est, comme vous le constatez, un film dont nous pourrions beaucoup parler du fait de l’intérêt qu’il a au niveau historique, de la réflexion qu’il suscite et du plaisir qu’il procure, sur le plan artistique. C’est donc un film que nous recommandons hautement et pour lequel nous espérons un beau succès sur les supports disponibles – à défaut de celui des écrans de salles de cinéma qu’il aurait, pourtant, clairement plus mérité que bien d’autres films qui, eux, en reçoivent les honneurs.
Christian Estevez
N.B.: critique publiée sur le site de "FemmeS du Monde magazine" le 19 octobre 2020.