Black Rain entretient une filiation très forte avec Blade Runner (1982), précédent long métrage de Ridley Scott, tant du point de vue de sa forme que de celui de son propos : soit une chasse à la créature dans une ville aux allures futuristes, insérant un flic à la morale douteuse dans une Babylone ultramoderne qui procède par fusions de la culture occidentale, venue « tuer » – comme son nom l’indique – la culture orientale. Même dégustation de nouilles, même importance accordée aux néons et au chaos urbain fait de dédales de rues et de ruelles que traversent des foules pressées. Le cinéaste prend le risque d’épouser le point de vue de son duo initial, deux Américains arrivés au Japon malgré eux et qui portent sur ce dernier un regard ethnocentrique et raciste : le bureau de police se transforme en un terrain d’observation que verbalisent deux camarades soucieux de dérider le sérieux environnant. Ce faisant, ils semblent apporter avec eux un chaos, à l’image de la bombe atomique qui frappa le pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale ; ou plutôt, le dérèglement auquel ils assistent résulte d’une Faute passée, mémorielle en quelque sorte, dont ils héritent et qu’ils réactualisent par la faute morale de Nick : sa corruption. La tension entre l’Américain et le Japonais rejoue ainsi une rivalité politique entre deux puissances concurrentes dont l’une, jadis dominante, se voit rattrapée et battue par la technologie innovante : « l’avenir c’est nous », affirme fièrement Masahiro. La suite du film attestera le statu quo de deux modèles culturels stériles et cruels : l’Osaka de Masahiro rejoint le New York sans foi ni loi de Nick. Les deux policiers pleurent également la disparition de Charlie Vincent, dont la caractérisation angélique ainsi que les vêtements clairs assimilent à un agneau sacrifié, à un être pur qui, en pénétrant dans le chaos, voit sa pureté ternie. Sa décollation n’est en outre pas sans évoquer celle d’un saint bien connu. Avec Black Rain, Ridley Scott compose son propre Godzilla en le personnage de Sato, monstre cupide et sanguinaire né des bombardements américains : il cultive l’individualisme et l’auto-consécration, revendique sa liberté et son statut de Créateur indépendant des traditions et des aïeux qui la représentent. Il veut devenir oyabun, soit « le grand chef » responsable d’une famille ancestrale, alors qu’« il ignore la loyauté et le respect ». Son écriture manichéenne accentue l’abstraction qu’il figure, et son châtiment lui cause non de la douleur mais un plaisir sadique, preuve qu’il incarne un avatar de Satan – son prénom justifie un tel rapprochement. « Il se livre ici une guerre d’Enfer », indique Joyce aux Américains fraîchement débarqués. La rédemption finale de Nick achève de faire du long métrage une parabole biblique sur le rachat des fautes et sur la rédemption, cachée derrière un buddy movie stylisé, parfaitement rythmé et efficace.