Il n’est pas étonnant de voir où Frédéric Tellier continue de mettre les pieds, notamment après « L’Affaire SK1 » et « Sauver ou Périr ». Mais c’est la proximité avec le récent « Enquête sur un scandale d'État », voire également de « Boîte Noire », deux thrillers qui arpentent la méthodologie journalistique pour éveiller les consciences. Mais ce qui manque cruellement à ce nouveau-né, c’est bien sûr de la subtilité. En superposant la narration de trois points de vue, qui vont fatalement se croiser autour d’un enjeu commun, cela aurait pu rester un film choral honorable. Mais l’appel émotionnel qui en découle manque de nuances et tombe facilement dans un mélo, qui ne laisse pas forcément le spectateur solliciter la réflexion de lui-même. C’est un guide documenté, juste, appuyé de discours aussi glaçants que déroutants, mais tout est une affaire de contre-vérité, à remettre en perspective, si l’on peut, dans des dialogues constamment brouillés par des éléments extérieurs et alarmants.
Cependant, il ne faudra pas chercher plus loin que la qualité des interprètes pour étouffer une partie de ces bruits parasites et satisfaire l’écoute, exigée par un récit loquace. Toutes les vertus des conflits passeront essentiellement par-là, des mots, crus, détournés, manipulés à destination d’une audience qui cherche à justifier le mal qui les frappe jusqu’à leur domicile. Les premières minutes nous dévoilent pourtant la déroute des bonnes paroles, de la raison et de la justice, entravée par le doute juridique et administratif. C’est ainsi que Tellier filme frontalement le lobbyiste Mathias (Pierre Niney), qui est à l’opposé de l’avocat Patrick (Gilles Lellouche). Chacun défend des valeurs, humaines ou industrielles, et l’intrigue décolle dans ces moments d’échanges, ces moments de furie, où la violence passe par un regard de mépris, avant même d’être illustrée par des actes radicaux. Il n’y a pas de dialogues de sourds, car les moins attentifs seront les plus fébriles. En jouant sur la conscience même de la lutte qui les rapprochent, il sera possible de comprendre la désolation de la situation, aux dépens de victimes, qui militent dans le vide.
France (Emmanuelle Bercot) possède ainsi son combat, à la fois chez elle, aux côtés d’un mari malade d’un empoisonnement à une substance qui irrigue leur cadre de vie. Mais une fois encore, on pousse un peu trop loin les curseurs, dévoilant que cette femme est multitâche et volontaire par nécessité. Enseignante le jour et ouvrière en manutention le soir, la vie de cette future militante viendra se greffer aux pieds d’une société qui brise tous les principes moraux, telle une épine qu’il convient d’enfoncer assez loin pour qu’on se tourne vers elle. Elle représente également la voix d’agricultrices, disparues par l’inaction de leurs pairs, comme plus haut sur la pyramide du pouvoir. Tout l’impact est négligeable et l’on répète sans cesse cela, que ce soit par le prisme des médias ou autres actions plus intrusives, à l’aide des réseaux sociaux. La seule porte de sortie se trouve dans le cœur de ceux qui peuvent encore se rebeller et pour qui il s’agit de s’inspirer de la tragédie qu’ils défendent, parfois malgré eux.
De « Erin Brockovich » à « Dark Waters », le cinéma français souhaite également mettre à l’honneur le déclin d’un système capitaliste qui n’a pas fini de se dresser, tel un « Goliath » qui trône sur le mode de vie et de consommation de citoyens muselés par une poignée d’individus. Il ne reste plus que l’échec, qui cicatrise dans une chair bien plus fertile et saine que les terres que l’on souille de fausses vérités. À ce titre, la plupart des personnages secondaires sont pertinents dans le procès qui se tient là, quelque part entre la mauvaise mine d’un avocat intègre, la liberté croquée dans un bain de minuit et l’image d’un gendre idéal, au self-control douteux.