Les Tempêtes est le premier film de Dania Reymond. Son premier court-métrage, Le Jardin d’essai (2016), produit et tourné à Alger, a poussé la réalisatrice à interroger son lien avec l’Algérie. Elle explique : "J’ai commencé à écrire une suite, désireuse de poursuivre ce travail. Très vite, une image s’est imposée à moi : du sable jaune étalé sur la terre, sans que j’en saisisse pleinement le sens. Peu à peu, mon personnage principal est devenu journaliste et a commencé à enquêter."
"À travers lui, j’ai compris que le film abordait la décennie noire. J’avais ressenti le besoin de donner une matière, une couleur et une texture à cette période qui était restée dans ma mémoire comme un angle mort."
L’Algérie n’est jamais nommée dans Les Tempêtes, puisque Dania Reymond a placé l'intrigue du film dans un pays fictif, avec ses propres références, son drapeau, son président, etc. la cinéaste précise : "Ce n’est pas ce que je souhaitais au départ, la décision a été difficile à prendre. À quelques mois du tournage, alors que nous avions bien avancé dans les préparatifs, nous avons compris que nous ne pourrions pas tourner en Algérie."
"Malgré les efforts des équipes et de mes producteurs, nous n’avions toujours pas l’assurance d’obtenir les autorisations, aucun financement algérien, et surtout le contexte économique, marqué par l’après Covid et la guerre en Ukraine, était particulièrement défavorable. À cet instant T la faisabilité du film en Algérie n’était pas possible. Nous avons pris la décision de partir au Maroc qui a mis en place des facilités pour accueillir les tournages."
"Mais cela a remis en question le projet. Je ne pouvais pas faire comme si Casablanca était Alger, ça n’avait plus de sens. Donc soit je renonçais au film, soit je le déplaçais à un endroit qui me permettait quand même de raconter cette histoire. La solution a été d’imaginer cette terre fictive et de l’assumer. Je me suis dit « OK, on va au pays de l’oubli ! » et ce n’est pas insensé par rapport au sujet du film qui raconte ce travail de deuil et de mémoire."
Dania Reymond a tourné Les Tempêtes au Maroc mais le casting principal du film est algérien "On a fait venir une vingtaine d’acteurs algériens, ce qui n’était pas si simple puisque la frontière est fermée entre les deux pays. Il a fallu compléter en allant chercher des comédiens dans la zone frontalière, la région d’Oujda où le dialecte est proche de l’arabe algérien", confie-t-elle.
Camélia Jordana est arrivée tardivement dans le projet. Les producteurs de Dania Reymond ont contacté l'agent de la comédienne, qui a lu le scénario en 24 heures. La réalisatrice se rappelle : "Son lien avec l’Algérie, à travers son histoire familiale, est très fort. Je cherchais une jeune femme à l’aise dans sa féminité, charnelle, vivante, et profondément incarnée, loin d’un personnage effacé ou fantomatique."
"Dès notre rencontre, il était évident qu’elle était la Fajar dont nous avions besoin. J’ai été touchée par ce qu’elle est, ce qu’elle incarne, sa vitalité, sa présence, et sa grande générosité dans le travail. Une grande générosité que j’ai aussi trouvée auprès de Khaled Benaïssa qui incarne Nacer. Il s’est lui aussi énormément engagé dans ce travail qui a réveillé sa mémoire des années 90 passées à Alger."
Le film comporte une tempête et des fantômes, mais Dania Reymond a choisi de prendre le contre-pied des codes habituels des films catastrophe et d’épouvante. Ainsi, les revenants apparaissent de manière très douce : "La question de la douceur me paraissait importante. Pendant l’écriture les fantômes ont surgit de manière très douce. J’étais bloquée car je n’arrivais pas à comprendre le personnage de Fajar, ni à l’investir."
"Une nuit je me suis réveillée en sursaut car je venais de réaliser qu’elle était morte et qu’elle ne le savait pas. Le blocage venait de là : j’essayais de l’écrire comme une vivante. J’ai compris que le trajet du film serait d’apprendre avec le plus de douceur possible à ce personnage qu’elle ne faisait plus partie du monde des vivants et de l’accompagner dans son départ."
"Ce nuage jaune qui s’impose aux vivants c’est une manière de rendre visible tout ce qui a été en partie invisibilisé. D’abord cette guerre qui était une guerre de l’ombre et puis tous ces morts que la loi d’amnistie ne prend pas en considération. En entravant le travail de justice et de mémoire, les rituels de départ de ces morts sont restés incomplets, ils sont « mal partis » et d’une certaine manière ils nous hantent", raconte la réalisatrice. Elle ajoute :
"Utiliser le fantastique permettait de regarder ce qui n’a pas été suffisamment nommé et porté par les institutions. Les tempêtes au moins on ne peut pas facilement les mettre sous le tapis !"