Il y a 10 ans, le documentariste français Thomas Balmès s’était rendu à Laya, un petit village du Bhoutan, pour y tourner "Happiness", un film qui n’a jamais eu l’honneur de connaître les salles de notre pays. Il avait pour but de travailler sur l’impact des écrans sur nos sociétés et il avait fini par choisir de poser sa caméra au Bhoutan, ce petit pays de 38 000 km2 et de 750 000 habitants environ. En 1999, ce pays avait vécu une véritable révolution, son gouvernement ayant levé l’interdiction sur la télévision et Internet. Dans ce pays qui était le dernier au monde à ne connaître ni l’un ni l’autre, Laya, perdu au nord du pays à près de 4000 mètres d’altitude, avait la particularité d’être le dernier village à avoir reçu, plusieurs années plus tard, les 4 connexions qui symbolisent la « modernité » : la route d’accès, l’électricité, la télévision, Internet. Cette particularité avait permis à Thomas Balmès de suivre les effets de l’arrivée des écrans dans une communauté qui en avait été privée jusque là. Pour personnaliser ce bouleversement, le réalisateur avait choisi Peyangki, un jeune apprenti moine bouddhiste de 8 ans, et il lui avait fait faire la connaissance de la « modernité » durant un voyage de 3 jours entre Laya et Thimphou, la capitale du pays. 8 ans plus tard, Thomas Balmès est retourné à Laya pour tourner "Sing me a song", et il a retrouvé Peyangki. Dans son nouveau film, Thomas Balmès commence, avec de très belles images de l’environnement de Laya, ce village perché à 3820 mètres d’altitude au cœur du massif de l’Himalaya, par nous introduire auprès du Peyangki de "Happiness" : le village attend la route, attend l’électricité, Peyangki a préféré devenir moine que d’aller à l’école, il aimerait devenir un jour un grand lama, il aimerait aussi voir des avions et de grands immeubles. Très vite, on retrouve Peyangki 10 ans plus tard : c’est un téléphone portable qui le réveille, on voit une antenne parabolique sur un toit. Pas de doute : la métamorphose de Laya et celles de Peyangki sont flagrantes. Encore plus flagrante lorsqu’un des plans suivants nous montre une vingtaine de jeunes apprentis moines qui semblent absorbés dans leur prière commune, sauf que, simultanément, ils sont tous en train de se livrer à des activités sur leur Smartphone : jeux en ligne, réseaux sociaux, visionnage de vidéos, … Surprise, surprise : la vision que nous donne Thomas Balmès de ce pays qui a choisi de remplacer le PIB par le BNB (Bonheur National Brut) n’est pas exactement celle à laquelle on s’attendait. En fait, le Bhouthan est devenu en quelques années le plus grand consommateur d’écrans de toute l’Asie et 600 000 bhoutanais ont un compte Facebook. Et nous ne sommes pas au bout de notre surprise ! Que dire en effet de cet authentique représentant de la tradition qu’est pour nous un moine bouddhiste aux cheveux rasés et à la robe couleur bordeaux qui tombe amoureux d’une chanteuse de la ville rencontrée sur … Wechat ? Que dire de la vision de la capitale du Bhoutan, Thimphou, qui, finalement, ne diffère en rien d’une ville europénne, embouteillages compris ? Que dire de la vision de ces jeunes moines prenant du plaisir à s’amuser de leur participation à des jeux de guerre ?
"Sing me a song", documentaire qui ressemble beaucoup à une fiction, nous en apprend beaucoup sur le Bhoutan, sur le bouddhisme, mais aussi, de façon indirecte, sur la façon dont Internet et les réseaux sociaux ont métamorphosé nos propres existences.