A la fin des années 60, des centaines d'étudiants membres d'organisations maoïstes se sont fait engager comme ouvriers dans des usines pour partager la vie des ouvriers afin de mieux les comprendre, afin de servir les luttes sociales dans les usines. Ce mouvement important avait pour nom "Les établis". Le sociologue et philosophe Robert Linhart était l'un d'eux. C'est dans l'usine Citroën de la Porte de Choisy que ce "Normal Sup" se fait engager comme OS2 à l'automne 1968, prétendant n'avoir que le Certificat d'étude. 10 ans plus tard, il racontera cette expérience dans un livre, "L'établi", dont le film de Mathias Gokalp est l'adaptation cinématographique. Citroën, bien connu à l'époque pour son syndicat maison et l'utilisation fréquente d'hommes de main, de nervis, pour faire régner l'ordre. Après un début hésitant, où les difficultés que rencontre Robert Linhart pour réaliser des tâches pour lesquelles ses études ne l'ont pas préparé sont montrées de façon un peu maladroites et où l'accueil de ses nouveaux collègues qui craignent de perdre leurs primes à cause de son mauvais travail semble quelque peu caricatural, le film prend de plus en plus d'ampleur et l'intérêt qu'on y porte grandit considérablement. Un évènement va permettre à Robert Linhart de lancer un mouvement de grande ampleur : la décision prise par Citroën de faire travailler sans paye des heures supplémentaires afin de se faire rembourser les accords de Grenelle, signés après mai 68. "L'établi" montre avec justesse comment se déroulait le travail dans une chaîne de fabrication, montre le comportement raciste et sexiste de certains petits chefs, montre comment un mouvement arrive à naître mais rencontre de plus en plus de difficultés, que ce soit à cause des entraves, certaines violentes, certaines plus habiles, menées par la direction envers les ouvriers en état de faiblesse, (travailleurs immigrés, personnel féminin, personnel ayant des difficultés financières, etc.), montre l'antagonisme entre ces jeunes "gauchistes" et la CGT qui ne veut pas les soutenir, même si le responsable local, un prêtre ouvrier interprété par Olivier Gourmet, prend la responsabilité d'embrasser leur cause. On va même s'amuser de quelques anecdotes tournant autour de la fille de Robert Linhart qui s'attend à ce que la révolution ait commencé chaque fois qu'elle descend dans la rue ou bien à l'origine d'une remarque de la mère de Linhart qui demande à son fils de faire lire à sa fille d'autres livres que ceux parlant de la Chine et de la Palestine. Dans une excellente distribution où brille particulièrement Swann Arlaud (qui a participé à toutes les manifestations contre la réforme des retraites !) on ne manque pas de remarquer une jeune comédienne, Raphaëlle Rousseau, qui interprète avec force et talent le rôle d'une ouvrière aux origines yougoslaves. Un film censé se dérouler en 1968 et 1969 mais qui, sur de nombreux points, est d'une grande actualité.