Le film de Mathias Gokalp reprend le livre éponyme de Robert Linhart, jeune intellectuel, ancien élève du lycée Louis-le-Grand et de l'École normale supérieure, mais aussi militant d’extrême gauche, l’un des fondateurs du mouvement maoïste en France et qui quelques mois après mai 68, décide de se faire embaucher chez Citroën en tant que travailleur à la chaîne… Ces « établis », environ 2 à 3000, étaient des militants d’extrême gauche qui s’immisçaient durant les années 70 dans des entreprises comme Renault, Citroën, Chausson etc… pour témoigner de la réalité ouvrière et faire monter les luttes.
Je tenais à voir ce film, étant du même âge que Robert Linhart, et ayant connu l’éclatement de l’Union des Etudiants communistes, la chute des « Italiens », l’émergence des trotskistes de la JCR, puis des maoïstes du Parti Communiste marxiste-léniniste, puis de la Gauche Prolétarienne…ayant aussi connu quelques militants bretons qui à l’été 1968, voulait aller aider les paysans dans leurs travaux saisonniers, petit livre rouge dans leur bagage
Publié en 1978, dix ans après les événements de mai, « L’établi » demeure un des témoignages majeurs sur la situation ouvrière en France pendant les Trente Glorieuses.
Le long-métrage est tout entier porté par Swann Arlaud qui habite son personnage avec beaucoup de respect et d’empathie (mais peut-être trop tendre voire juvénile). Il incarne un homme soucieux du bien-être de la condition ouvrière, engagé dans une lutte où il donne de sa personne d’un point de vue psychologique et somatique. …Derrière lui, des femmes et des hommes exercent dans des conditions de travail absolument terribles où la maltraitance, la pression demeurent des outils de management au service d’un capitalisme puissant et sans limite. Les ouvrières sont déniées dans leur identité féminine ; le racisme et la discrimination deviennent la norme dans l’organisation du travail. L’usine va jusqu’à organiser sa propre milice, son propre syndicat, à l’époque le Syndicat indépendant des salariés de Citroën, dans le déni total des lois et du droit des travailleurs à la protection et à la santé.
Quand Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle en exigeant des ouvriers qu’ils travaillent trois heures supplémentaires par semaine à titre gracieux, Robert et quelques autres entrevoient alors la possibilité d’un mouvement social, mais ses collègues ne veulent plus entendre parler de politique après l’échec relatif de mai 68
Les travailleurs italiens, maghrébins, yougoslaves, africains, français, méprisés par une direction nostalgique du beau temps des colonies, hésitent entre révolte et résignation. Certains paieront très cher leur engagement, d’autres puiseront dans le collectif une énergie nouvelle. C’est le mérite du film que de croiser ces trajectoires et de confronter les positions sans jamais condamner les choix des protagonistes, fussent-ils ceux de l’obéissance, voire de la collaboration avec la direction. Et quand Robert se dévoile, malgré le relatif sacrifice de son confort et de sa santé, il se voit reprocher d’avoir le choix d’une autre vie par ceux qu’ils entendent défendre.
Le film nous plonge dans les combats d’une époque dont nous n’avons souvent qu’une idée trop abstraite, voire caricaturale.
Mais ce qui m’a gêné dans ce film, c’est la chaîne… Pour reconstituer la chaîne de fabrication de 2CV, Mathias Gokalp et son équipe se sont installés dans les friches Michelin, à Clermont-Ferrand : « On a rempli des grands hangars avec les outillages d’usine en cessation d’activité de la région. Concernant les 2cv, nous avons travaillé avec des véhicules de collection qui ont été entièrement démontés pour être réassemblés sur la chaîne dans le film. Et des fabricants nous ont aussi fourni des pièces neuves, les carrosseries brutes et les portières. On ne fabrique plus de 2cv complètes mais on fabrique encore des pièces détachées pour réparer celles qui sont encore en circulation » précise le réalisateur… Cela se voit…cela fait plus gros atelier de mécanique, on ne retrouve pas la tension et la pression de ce qu’était une chaine de fabrication automobile. comme celle que j’ai pu visiter à Billancourt…
Par ailleurs, il aurait peut-être fallu s’en tenir au monde de l’usine. C’est dans l’articulation entre la vie bourgeoise de Robert (bien plus qu’elle ne l’était réellement si l’on en croit le récit autobiographique de sa fille) et sa vie d’ouvrier, que le film se montre le moins réussi. L’opposition entre les deux univers est un peu trop explicitement soulignée par le contraste des couleurs (bleu gris à l’usine ; rouge et orange à la maison).
Quant à l’épilogue, il nous semble maladroit. Après un séjour en hôpital psychiatrique, Robert retourne au travail. Il livre son cours tel un zombie devant des étudiants atterrés. …
Il n’en reste pas moins que le film constitue un hommage vibrant aux luttes d’une génération dont il est beau et utile de rappeler l’engagement