Il y a un film avec lequel A plein temps entretient un certain dialogue, c’est En guerre (Stéphane Brizé, 2018). Le montage heurté, la tension qui ne cesse de monter ou encore l’intention de disséquer les rapports humains dans un cadre professionnel sont autant de traits communs aux deux films. Il y est aussi question de grèves, mais des deux côtés opposés du piquet – subie dans un cas, voulue dans l’autre.
Et puis il y a cette scène, vers la fin du film, qui pourrait être un faux ricochet au final de En guerre. Le personnage interprété par Lindon s’y immolait sur son lieu de travail afin de faire basculer le mouvement social (et le film) dans la tragédie – ce qui a pour conséquence d’augmenter les primes de départ de ses collègues. Dans A plein temps, Julie (interprétée par Laure Calamy) se trouve sur le quai de la gare avec ses deux enfants. Elle vient de perdre son travail, ce qui semble la dévaster. La caméra s’attarde sur elle, visage baissé, pensive. Une voix off annonce l’arrivée en gare d’un train. Prière est faite de s’éloigner du quai. Julie ne bouge pas tandis qu’on entend le train hurler au loin. On pense alors à l’issue fatale du film de Brizé – l’altruisme en moins. Mais non. Julie ne commet pas l’irréparable, et c’est une tout autre issue qui l’attend.
La porte de sortie
(une offre d’emploi)
proposée par Gravel à son personnage est intéressante : elle révèle toute la complexité de Julie.
Car, pour celle-ci, le fait de retrouver un emploi n’est certainement pas le vrai moyen de trouver une issue favorable à sa situation. Ou en tout cas, ce n’est pas cette solution – dans sa simplicité apparente – qui a été retenue par le cinéaste. Si cela avait été le cas, Julie aurait trouvé un nouveau travail près de chez elle.
Or, et c’est une nuance importante, c’est un travail de la même nature que le précédent qui lui est « offert » : sur Paris, loin de chez elle, avec des responsabilités, des journées à rallonge... Pour le spectateur ayant partagé une heure durant le quotidien asphyxiant de cette mère célibataire, ce n’est franchement pas le signe d’une amélioration de la situation (ne sont pas résolus les problèmes de garde, de transport, de grèves…). Mais pour le personnage interprété par Laure Calamy, c’est une tout autre histoire…
Quand celle-ci apprend qu’elle a été engagée, elle pleure. Des larmes de joie ? Il y a tout lieu de le croire. Car Julie a fait preuve de bien peu d’entrain lorsqu’il a fallu postuler pour un emploi de caissière près de chez elle. La vie de famille ne lui sied pas beaucoup non plus. Même si elle fait tout ce qu’il faut (tout ce qu’elle peut) pour ses enfants, on la voit peu enchantée par la perspective de rester chez elle sans travailler. Et puis il y a ce « J’suis quand même mieux chef d’équipe dans mon palace » lancé à la nounou des enfants quand celle-ci lui suggère de se faire recruter dans le supermarché du coin.
Ainsi Julie, malgré des contraintes insupportables, n’est pas prête à accepter n’importe quoi. Elle aspire à un poste à hauteur de ses diplômes, sous n’importe quelles conditions – et sur Paris qui plus est. Son quotidien effréné, c’est le mode de (sur)vie qu’elle s’est choisi. C’est peut-être aussi son addiction.
Gravel choisit donc un final bien plus politique qu’il n’y paraît. Pour son personnage, la solution de sortie de crise est moins l’intention de montrer le travail comme simple moyen de subsistance que la volonté de le révéler dans toutes ses potentialités de nuisance et d’aliénation – en tout cas dans la forme décrite tout du long : un marché de l’emploi ultra-libéral et archi-concurrentiel.