Comme dans ce film tout est parfait, profitons en pour rappeler tout ce qu'il y a dans un film. Des décors de studio, des scènes tournées en extérieurs, des vrais décors, des champ-contrechamp, des plans séquences, des travelling, des costumes, le montage, la musique intégrée au film, la musique composée pour le film, des travellings, des plans fixes, des cadrages, des jeux d'ombres et lumières, des acteurs de second rôles, des acteurs principaux, des dialogues, des silences, et une vision artistique.
Tout est ici au sommet, orchestré par Max Ophüls qui signe son chef d’œuvre. Une narration éblouissante fait basculer une vaudeville dans un drame poignant. Au coeur du film deux acteurs géniaux: Boyer et Darrieux. Si parce qu'Ophüls adore filmer le femmes Darrieux ressort encore plus, Boyer livre une performance exceptionnelle qui nous montre le refus d'Ophüls à se contenter de condamner son personnage. Avec Ophüls, les personnages sont complexes et ici plus qu'ailleurs Ophüls nous fait comprendre leur raison d'agir et leurs désirs et leurs souffrances. Le triangle amoureux est décrit par les silences par le cadre, le montage, et quelques détails que le réalisateur glisse ici et là, sans jamais donner l'impression de devoir en faire trop. La simplicité et la foule de petits détails dans a mise en scène: Ophüls a tout compris du travelling qui survole et donne l'impression d'aller à l'évident pour en fait cacher sous le regard du spectateur attentif les détails clés.
Ophüls a quelque chose à dire, et il ne le perd jamais de vue, et chaque scène est un argument supplémentaire à son argumentation souterraine ou artistique. Ophüls parle de l'impossibilité d'atteindre la vérité des sentiments: si les sentiments s'imposent à nous, ils nous sont étrangers et donc ne sont pas vrais: il ne sont qu'une perception de l'exteriorité. Si nous nous imposons nos sentiments, nous vivons dans une fiction que nous nous racontons. Le drame des personnages c'est d'essayer de donner un sens à leurs sentiments. Si une chose est vrai alors il faut tout lui sacrifier. Mais cette recherche d'absolu échoue dans le mensonge et s'échoue contre cette évidence: nous doutons de tout. A l'image de Louise qui doute trop du Baron pour lui dire la vérité. Le mensonge brise tout, révèle les craintes et la faiblesse des sentiments. Dès lors il n'y a que le suicide pour se montrer qu'on s'aime puisque toute les preuves d'amour terrestres sont vaines rhétoriques. Seules les actions donnent un sens à nos sentiments. Et encore...
Car n'agit-on pas seulement pour éviter de laisser la superficialité de nos représentation nous éclater au visage? Nos actions n'ont elles pas pour unique but de poursuivre le vaste mensonge que la volonté impose au réel à travers une représentation trompeuse? "Le malheur s'invente" dit Charles Boyer et plus que tout autres phrases de film celle ci me hante. A force de se mentir à soi même, on se crée des malheurs pour donner du sens à ce vide: même le malheur est superficiel (ce que disait d'ailleurs aussi Caligula dans la pièce éponyme d'Albert Camus).
Tout est silence et il n'y a que la mort et l'art qui rendent au monde sa beauté ténébreuse.
Bref, ce film est un chef d’œuvre!
Notons en particulier la scène d'ouverture, la scène où les les amoureux dansent dans toutes les soirées parisiennes d'affilée, la scène de l'aveu silencieux dans la bibliothèque (ce montage qui enchaîne un gros plan sur chaque visage à la fin de la scène dans un ordre tout sauf hasardeux est un bijou), la scène du bal où Darrieux rend les bijoux, et les vingt dernières minutes.