Cette œuvre est une petite pépite. Un diamant brut serti de tous les carats de la réussite. Loin d’être ce que l’on pourrait appeler une claque cinématographique, terme plutôt réservé aux films qui nous mettent KO, nous font mal ou nous frappe en plein cœur. Notamment une fois que la projection est passée. Mais aussi dont la virtuosité nous assène choc cinématographique sur choc cinématographique, à l’instar d’un « Requiem for a dream », d’un « Martyrs » ou d’un « Men » pour avoir un exemple plus récent cette année. Et c’est aussi souvent des films qui scindent le public. Ici, « The Banshees of Inisherin » n’a que peu à voir avec cette catégorie. En revanche, avec une qualité et un travail d’orfèvrerie cinématographique tout aussi louable, c’est plutôt un long-métrage dont la force et la beauté irradient doucement mais surement, tranquillement tout le long de la projection sur un tempo davantage mineur et moins radical mais qui fait tout de même un bien fou. Inclassable et commun à nul autre dans le paysage du septième art récent, le dernier film de Martin McDonagh est sans conteste son meilleur. Un cinéaste qui a réalisé trois sympathiques polars comiques : « Bon baisers de Bruges » (avec Colin Farrell et Brendan Gleeson), « 7 psychopaths » (avec Colin Farrell uniquement) et « Three Billboards » avec aucun des deux mais une pluie de nominations et de récompenses assez méritées. On pensait qu’il avait touché les étoiles du brio avec ce film. Mais il nous livre, comme conscient qu’il est capable d’offrir encore mieux avec ses deux acteurs fétiches (manque Sam Rockwell). Voici donc son chef-d’œuvre, un film presque définitif par sa saveur unique et singulière. McDonagh réunit donc de nouveau Farrell et Gleeson ici, sort des ornières du polar, sortie déjà amorcée un peu avec son précédent, tout comme d’une véritable comédie pour nous offrir sur un plateau quelque chose de plus tendre, de très profond et qui n’oublie pas aussi de nous faire rire et d’être léger.
D’ailleurs si Brendan Gleeson est épatant en voisin bourru, que Kerry Condon ne démérite pas en sœur impétueuse et que Barry Kheogan (le futur « Joker ») est incroyable en idiot du village (un Oscar du meilleur second rôle lui pend au nez), c’est Colin Farrell qui trouve là le rôle d’une vie. Difficile à expliquer, mais il semble que l’acteur irlandais soit à un tournant de sa carrière et qu’il se bonifie drastiquement avec le temps. Après avoir explosé comme un sex-symbol et héros de film d’action étant jeune, il a eu une petite traversée du désert et a continué son petit bonhomme de chemin sous les radars mais non sans qualité (« The Lobster » pour le cinéma d’auteur ou le succès inattendu de la série B « Prémonitions » avec Anthony Hopkins). Et il est revenu en force cette année avec son rôle de Pingouin dans « The Batman », celui de père adoptif aimant dans le très beau et apaisant film de science-fiction minimaliste « After Yang » et dans l’histoire vraie du sauvetage de la grotte thaïlandaise « 13 vies ». Ici, dans celui du gars sympathique mais ennuyeux d’une petite île au large des côtes irlandaises au début du siècle dernier, il est tout bonnement monstrueux. Comme pour le film, ce n’est pas ce qu’on appelle une composition monstre à la Heath Ledger dans « Joker » ou Jamie Foxx en « Ray ». Non, c’est une incarnation moins voyante mais d’une subtilité et d’une perfection incontestable. Il est royal et mérite qu’on la voie en grand nombre. Cette histoire de deux hommes qui se boudent jouit d’une écriture ciselée qui se répercute dans les dialogues, des joutes verbales jubilatoires parfaitement écrites et souvent très drôles, mais aussi dans l’évolution de l’histoire qui passe du rire aux larmes avec une fluidité déconcertante et interroge sur beaucoup de notions. Sur notre rapport aux autres et comment on se définit selon eux, sur notre besoin de sociabilisation ou encore sur les problèmes de compréhension entre les hommes. En auscultant la relation de ces deux hommes, l’un mutique et l’autre très volubile, il nous met aussi face à un beau récit sur ce qu’est l’amitié aussi bien que sur les bienfaits du silence et des dangers de l’ennui. Pour ne rien gâcher, McDonagh filme ses somptueux paysages à travers une leçon de mise en scène sobre ou chaque séquence est à sa place et où chaque plan est parfait et débordant de beauté, fortement aidé par ses décors naturels rares. Cette plongée à Inisherin, entre légendes d’antan, étude anthropologique et petit théâtre de la vie est un joyau. A conseiller d’urgence.
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