La cuisine est une scène bien connue du cinéma, développée dans l’esprit de corps, en parallèle des saveurs et des relations qui s’en dégagent. Son fonctionnement, notamment dans les restaurants, est un balai minutieux nécessitant encore plus de rigueur qu’ils ont d’étoiles sur leur devanture. Ancien cuisiné confirmé, en jonglant peu à peu vers les établissements de plus en plus cotés, Philip Barantini (Villain) nous livre un opéra gastronomique, résultat de quatre prises, toutes en plan-séquence. Pas de coupure, juste un bain d’huile bien chaude, qui ne demande que des ingrédients à frire. Et au menu étoilé de la soirée, un chef, qui apporte ses problèmes au boulot. Il y a mieux comme assaisonnement, mais c’est autour du défi technique qu’on l’attendra au tournant.
Le cinéaste britannique en avait déjà fait un court-métrage trois ans plus tôt et il rappelle de nouveau Stephen Graham, qui devra partager la caméra avec toute sa brigade et ses clients. Il incarne ainsi Andy Jones, que l’on découvre tremblotant et perdu dans ses esprits. Ce n’est pas le froid d’hiver qui provoque ce mal-être, mais bien d’autres soucis personnels, qu’on se gardera d’émietter tout le long de l’intrigue. On file droit vers un service du soir très animée, en des temps festifs, où le client est roi. Ce sera dans les échanges entre les services que les tensions vont peu à peu alimenter l’aspect oppressant, imposé par une caméra qui ne lâche pas ses sujets. On navigue d’un point de vue à l’autre, en décortiquant un maximum de contraintes que confrontent les restaurateurs, pour peu qu’ils aient beaucoup de personnel à gérer.
Ouvrir avec l’intervention du service sanitaire n’est pas anodin. Le réalisateur nous parle de la restauration et de ses normes, choses qui ne peuvent pas être prises à la légère, car tout entraîne une conséquence. D’un lavage de main au mauvais endroit à la mauvaise température du frigo, ce sont des gestes quotidiens qui sont questionnés, afin de palper la réalité, souvent méconnu des consommateurs, de plus en plus exigeants et parfois influenceurs. Le profil de ces derniers est d’ailleurs poussé à l’extrême, éradiquant ainsi le peu de bienveillance que l’on se donnera la peine de présenter en introduction. Entre la cuisine et la salle, c’est évidemment le débordement. Les feux rouges s’accumulent à une vitesse ahurissante et l’alchimie ne prend plus. Chaque personnage possède une face cachée, qui bouillonne intérieurement, jusqu’à ce qu’elle soit renvoyée vers quelqu’un. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’on n’admet pas d’éclaircis dans cette brume. Il est cependant regrettable de laisser autant de problématiques en suspens et avec une démarche qui se répète à tous les échelles.
Barantini n’hésite pas une seconde pour jeter de l’huile sur le feu, là où les engrenages du restaurant en aurait le plus besoin. Il a choisi de graviter autour de son chef et de ses responsabilités, qui vont de pair avec toutes les formes de violences visibles, le racisme et le sexisme en tête. « The Chef » (Boiling Point) témoigne ainsi d’une forte compassion pour les corps de métier de la restauration, sous les feux des projecteurs et des critiques. Ces conditions de travail peuvent ainsi entraîner des débordements et des addictions parfois simplistes, et jusqu’au point de rupture, mais comme pour l’unique plan-séquence qu’on a choisi de garder, l’astuce vient d’une efficacité saine et dont la pression serait évocatrice d’une bonne hygiène. Le tout est de savoir jongler avec, quitte à s’effacer partiellement.