Il était une foi
Et voilà le Prix du scénario au Festival de Cannes sur nos écrans. Il est signé Tarik Saleh dont Le Caire Confidential de 2017 était déjà un modèle dans le genre du thriller. Adam, simple fils de pêcheur, intègre la prestigieuse université Al-Azhar du Caire, épicentre du pouvoir de l'Islam sunnite. Le jour de la rentrée, le Grand Imam à la tête de l'institution meurt soudainement. Adam se retrouve alors, à son insu, au cœur d'une lutte de pouvoir implacable entre les élites religieuse et politique du pays. 120 minutes d’une force et d’une perfection rarement atteintes. Ce labyrinthe politico religieux tutoie le chef d’œuvre.
Vous allez dire que je radote, mais j’en reviens toujours à cette affirmation de Truffaut qui aimait à dire que pour réussir un bon film, il fallait 3 choses : un bon scénario, puis un bon scénario et enfin un bon scénario. Alors quand je vois un film dont le scénario a été honoré sur la Croisette parmi tous les autres scénarios, je n’hésite pas un instant, je fonce. Et franchement passionner un public sur un sujet pareil, c’était un défi parfaitement relevé. Concevoir un thriller politique qui se déroule à Al-Azhar, l’université mythique du Caire qui est aussi l'épicentre du pouvoir de l'islam sunnite pouvait passer pour mission impossible. Mais Tarik Saleh est un génie et parvient à nous passionner pour des luttes intestines entre l’Université, le pouvoir égyptien et les Frères musulmans. A priori, on se dit qu’on ne va pas y comprendre grand-chose, ce qui s’avère exact pendant la 1ère partie du film où l’on est un tantinet perdu entre les différents personnages et les affrontements entre toutes les tendances de l’Islam. Complexe est un mot faible. Mais peu à peu, tout devient clair et le suspense va prendre le pas sur ces conflits entre imams. La réalisation est virtuose, l’image somptueuse, l’interprétation formidable et le scénario… ah oui ! J’en ai déjà parlé. Le film n’a pas pu être tourné en Egypte – mais en Turquie, en particulier dans la Mosquée Süleymanye d’Istanbul - car depuis 2015, Saleh a du quitter son pays où il est devenu indésirable. Plus largement, ce film traite du pouvoir, d’autorité́ bien au-delà du cadre particulier de la religion musulmane. C’est brillant, passionnant, et on n’a pas fini de créer des pépites avec le mélange détonant politique / religion. En voilà une à ne manquer sous aucun prétexte.
Le comédien fétiche du cinéaste, Fares Fares, nous gratifie encore une fois d’une prestation ahurissante. Mais tous les acteurs, Tawfeek Barhom, Mohammad Bakri, Mehdi Dehbi, Ramzi Choukair et tous les autres sont excellents. Machinations, complots et pièges en tous genres se succèdent sous nos yeux incrédules devant tant de violence feutrée et de perfidie. C’est John le Carré chez les imams. Incroyable et pourtant très proche, nous assure-t-on, très proche de la réalité. Un pamphlet implacable.