A l'origine, Albert Serra voulait situer Pacifiction - Tourment sur les îles en France. Mais le cinéaste n’avait pas envie de filmer Paris. Il a alors pensé aux Dom Tom : "Contrairement à ce qu’on pourrait croire, j’aime écrire des scénarios. Celui-ci s’est inspiré des souvenirs de Tarita Tériipaia."
"Tarita a été pendant dix ans la femme de Marlon Brando, qu’elle a rencontré sur le tournage des Révoltés du Bounty (1962), où elle tenait un des rôles principaux. Dans ses mémoires, elle parle de sa vie avec l’acteur, mais aussi de son enfance."
"J’ai trouvé très intéressants les contrastes qu’elle a fait apparaître, d’une part entre la pureté de son enfance à Papeete et la présence parfois nocive des Occidentaux, d’autre part entre ce paradis et l’arrivée d’une équipe de tournage hollywoodienne."
"Ce rapport entre paradis rêvé et corruption réelle, mais aussi entre une certaine réalité et le cinéma, m’a paru très inspirant…"
Albert Serra a rencontré Benoît Magimel à Cannes en 2019, lors de la présentation d’Une fille facile de Rebecca Zlotowski, dans lequel l'acteur livrait une prestation touchante. Le réalisateur précise au sujet de son personnage dans Pacifiction - Tourment sur les îles :
"Il est le Haut-Commissaire de la République. Dans toutes les régions françaises il y a des Préfets, sauf en Polynésie où l’on parle de Haut-Commissaire. De Roller est à la fois un fonctionnaire et un homme politique, c’est le plus haut représentant de l’Etat français en Polynésie."
"Nous avons d’ailleurs rencontré le véritable – qui n’a rien à voir avec le nôtre ! – et c’est chez lui qu’a été tournée la scène du déjeuner, dans cette maison où loge le Président lorsqu’il est en visite à Tahiti. Macron est d’ailleurs venu sur l’île pendant que nous tournions."
Pacifiction - Tourment sur les îles a été tourné en août 2021, pendant 25 jours, alors que Tahiti était sous confinement total. "Nous avions donc l’impression d’une île vide, comme un plateau de cinéma réservé pour nous. Et comme les acteurs, les actrices, les membres de l’équipe ont tous attrapé le Covid à un moment ou à un autre, cela a encore renforcé l’impression de flou ou de vide", se souvient Albert Serra.
Albert Serra avait pour références certains films des années 1970 et du début des années 1980 sur la paranoïa et sur la chute d'un rêve, comme À cause d’un assassinat d’Alan J. Pakula et Cutter’s Way d’Ivan Passer : "De Roller est ainsi. Il n’arrive pas à tout gérer, il redoute que sa hiérarchie, qu’il remet d’ailleurs ouvertement en cause, ne le mette à l’écart, il semble persuadé qu’il va bientôt sauter…"
"Il s’imagine que les choses se décident dans de très hautes sphères, des lieux secrets et cachés, alors qu’en fait ce qu’on voit se résume à de toutes petites choses au ras de sol. Comme s’il manquait le niveau moyen, celui de la réalité."
Pacifiction - Tourment sur les îles a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2022. Albert Serra est un habitué de la croisette puisque son second long métrage Honor de cavallería a été montré à la Quinzaine des réalisateurs au 2006. Le metteur en scène a par ailleurs obtenu le Prix spécial du jury dans la section Un certain regard en 2019 pour Liberté.
Albert Serra avait 540 heures de rushes, soit 180 heures pour chaque caméra (sachant que la plupart du temps le réalisateur tournait avec trois en même temps). Il a donc dû faire des choix drastiques : "A la fin de chaque journée de tournage, la retranscription complète des dialogues a été envoyée à Paris."
"A la fin, nous avons abouti à un PDF de 1276 pleines pages, un document sans lequel nous aurions été absolument perdus : comment, sans cela, se repérer dans toute la masse de choses dites parfois sans cohérence entre elles ? Au montage, nous avons travaillé avec Artur Tort et Ariadna Ribas."
"J’ai d’abord tout regardé seul, les images de trois caméras diffusées sur un même écran divisé en trois. Je me souviens avoir commencé le 14 octobre de l’année dernière et fini la première semaine de janvier 2022, à raison de 8 ou 9 heures par jour, sans autre pause qu’à Noël pendant une semaine."
"Je regarde tout, donc, et je note ce que j’aime. Seulement ce que j’aime, rien d’autre : un geste, une réaction, une phrase, un dialogue de trois minutes… Au total, 300 pages de notes dont nous avons fait de nombreuses copies pour être sûrs de ne pas les perdre."
"Ensuite, commence le travail de montage à proprement parler. Je demande d’abord aux deux monteurs de ne monter que ce que j’aime. Tant pis pour la narration. De toute façon mon énergie ne se situe pas du côté de la dramaturgie, c’est toujours par hasard si celle-ci finit par apparaître."