Comme son titre l’indique, il s’agit d’une fiction imaginée dans les îles du pacifique. Une histoire tortueuse, qui va tourner autour des obsessions fantasmées d’un homme, De Roller, haut-commissaire de la République en Polynésie française.
« Dans les réceptions officielles comme les établissement interlopes, il prend le pouls d’une population locale d’où la colère peut émerger à tout moment. D’autant plus qu’une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français».
Cet homme dans un premier temps, ne croit pas à la rumeur. Mais petit à petit, le doute s’immisce dans son esprit, et devient chez lui une obsession. Il éprouve un mauvais présage, d’avoir été écarté par sa hiérarchie. Bien que douteux, des signaux faibles lui apparaissent de plus en plus probables, sur l’éventualité d’une reprise des essais nucléaires.
Tout le film est concentré sur ce personnage de De Roller, qui finit par tourner en rond au sens propre comme au sens figuré, en fantasmant ses idées, aussi hypothétiques soient-elles. En même temps, dans une île on termine toujours au point de départ, où l’on revient irrémédiablement à un moment ou un autre, on y croise les toujours les mêmes gens, dans les mêmes lieux.
Le film est porté par la forte présence de Benoît Magimel, qui endosse le costume blanc et les chemises à fleurs de ce personnage énigmatique. L’acteur a pris du poids, il fait de plus en plus penser à un Gérard Depardieu jeune, tout en intériorité. Assurément, ce rôle fera date dans sa filmographie.
Dans les dialogues, on perçoit le cours des pensées inquiètes de De Roller. Tout semble ici dépasser les habitudes des compromissions immobilières et autres entourloupes.
Et contrairement à ce qu’on pourrait attendre d’un film à Tahiti, les paysages de cartes postales prennent ici des allures glauques. On se croirait dans un thriller en eaux troubles, rien de paradisiaques ni d’enchanteurs.
Albert Serra, filme ici un fantasme, celui d’une île diabolique, aux prises d’un néocolonialisme du XXIème siècle. Pour retranscrire cette impression, il utilise trois petites caméras numériques, qui tournent en permanence, pour des captations différentes.
Par la suite le cinéaste a visionné ses 540 heures de pellicules pendant les 4 mois qui ont suivis les 24 jours de tournage.
Il affine alors ses propositions ou conserve les scènes telles quelles au montage.
Le cadre est peu conventionnel, et parfois le personnage principal se retrouve sur un plan qu’une seule caméra n’aurait pu saisir, du fait des 3 angles de vues différents.
Le travail de réalisation est très personnel et tout à fait hors norme, ce qui confère au film une grande singularité dans le paysage cinématographique. Le grain et la colorimétrie du film contribuent eux aussi, à accentuer l’effet artificiel d’un paradis perdu. Tout, dans la réalisation du film et les techniques utilisées, concourent à nourrir le propos.
Pour exemple, la scène d’une compétition de surfeurs. On n’y voit quasiment pas d’hommes surfer, mais des spectateurs dans de frêles embarcations, emportées sur le haut de la vague bleue, belle et terriblement menaçante. Les images du film, telle des dysharmonies visuelles sont détournées des attendus, et l’effet chez le spectateur est purement fascinant.
Il faut accepter l’expérience visuelle pour apprécier le film, mais le voyage vaut le détour dans la salle et il peut s’avérer extraordinaire.