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Patricia D.
72 abonnés
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5,0
Publiée le 13 juillet 2023
Le cadre du film se situe dans un village reculé d'Anatolie, un endroit où il n'y a que deux saisons, l'hiver et l'été. La très large partie des 3h17 mn du film se déroule sous la neige et le vent, un environnement hostile que souhaite quitter au plus vite Samet, professeur à l'école du village. Il vit en colocation avec son collègue Kenan. Tous les deux sont un jours convoqués au rectorat après la plainte de deux familles pour "gestes déplacés". L'une des élèves en cause est Sevim, particulièrement appréciée par Samet. L'autre histoire du film se construit autour de Nuray, professeure d'Anglais nouvellement nommée au collège du village. Elle a été amputée d'une jambe après un attentat suicide et n'a rien perdu de ses convictions politiques au service de la collectivité. Un curieux triangle amoureux va se mettre en place avec les deux enseignants. Le rythme du film est lent, déployé sur des images magnifiques, des paysages fantastiques. Les relations et les échanges entre les personnages vont faire ressortir quelques constantes de la nature humaine, de l'ambiguïté à l'engagement, du mensonge à l'individualisme. L'incertitude semble être le ciment de ce film très dense, conçu parfois comme un projet pour sortir le·la spectateur·trice de son siège de vérités, lui confier la responsabilité de mettre du sens et de l'ordre dans les comportements des personnages. Par exemple, une sortie brutale de l'histoire du film vient superbement illustrer les propos du réalisateur Nuri Bilge Ceylan : "C’est parce que je ne sais rien et ne suis sûr de rien. Je crois qu’il faut créer du doute dans l’art pour laisser libre le public. Je ne veux pas porter atteinte à la liberté du spectateur." L'actrice Merve Dizdar qui interpète le rôle de Nuray a obtenu la Palme d'or au dernier festival de Cannes. Le prix est mérité, même si sa présence est modeste sur l'ensemble du film. En revanche dans le rôle de Samet, Deniz Celiloğlu est présent dans toutes les scènes et superbe de nuances et d'intensité pour donner à voir l'ambivalence, la rouerie parfois, de son personnage -de l'être humain ?-.
"La vie c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit" écrivait L.-F. Céline dans son célèbre "Voyage". C'est la première chose qui m'est revenu en tête quand je suis sorti de ce film. Ce que Nuri Bilge Ceylan nous livre dans "Les Herbes sèches", c'est la recherche du manque de sens de la vie et de la signification de ce vide qu'est l'existence humaine. Les personnages sont égoïstes, jaloux, imparfaits et ne prennent conscience d'eux-mêmes et de leur valeur que dans le rapport aux autres. J'existe en faisant souffrir et je deviens quelqu'un par le regard d'autrui. Alors oui, en Turquie comme ailleurs, les herbes n'auront pas le temps de verdir de l'hiver à l'été et par un regard, nous comprendrons qu'elles sont sèches et qu'elles l'ont toujours été. C'est cette sécheresse qui nous caractérise selon Nuri Bilge Ceylan et qui est constitutive de notre profonde humanité car comme l'a dit M. Kundera : "l'esquisse de notre vie est une esquisse de rien, une ébauche sans tableau".
En fait de sécheresse, on subit surtout le long hiver glacial des plateaux anatoliens. Subir n'est pas le bon mot, car la longueur n'est pas un handicap pour voir le dernier film de Ceylan. Mélancolique bien sûr, on y voit quelques plans extérieurs sublimes, mais l'essentiel se passe en intérieur, dans le collège ou les logements précaires loués à ces profs envoyés en mission en début de carrière dans ce village perdu au milieu de nulle part. On cause beaucoup car on s'ennuie dans un bled ou il ne se passe rien. Faut-il jouer perso sa vie et sa carrière ou bien servir le collectif? Quel rôle progressif un prof peut-il avoir (tout le dilemme des trente dernières années de la Turquie)? Samet est un homme hésitant et pendant trois heures on va naviguer avec lui, son idéalisme naïf, ses frustrations, ses atermoiements, ses renoncements. L'adversité vient le tester, lorsqu'il est objet d'une accusation d'attouchements par une collégienne. La mise en scène est discrète mais bien réelle. Le champ-contrechamp est ainsi parfois abandonné pour rester en fixe sur l'un des deux interlocuteurs. Pas de musique, pas d'image violente, le verbe seul tient en haleine, une sorte d'anti Burning days, mais sur des thèmes qui se rapprochent. Le prix à Cannes est revenue à Merze Dizdar, qui est parfaite, mais n'a pas le rôle principal. Elle joue une femme forte, déterminée et qui détonne dans le village. Film universel, intemporel et réaliste tout à la fois. C'est un objet atypique, tout sauf racoleur, mais dont la profondeur s'appréciera dans le temps, comme un bon vin, que les profs boivent ici sans vergogne. cinéma juin 23
L'Anatolie est une région qui ne connait pratiquement que deux saisons : l'été et l'hiver. Et c'est pendant la seconde période, dans des paysages somptueusement enneigés, que se déroule principalement Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan, un nouvel opus majestueux, qui ressemble à ce que le cinéaste a fait dans le passé, mais avec des nuances inédites. D'une durée conforme aux standards du réalisateur, Les herbes sèches ne distille aucun ennui, entre ses dialogues pourtant copieux et de temps à autre hautement philosophiques et ses images magnifiques, parfois figées telles des photographies. Disons, mais c'est personnel, que le film pourrait atteindre au statut de chef d’œuvre, avec un peu moins de conversations et davantage d'extase visuelle. Le personnage principal ressemble à un "héros" de roman russe, dans son imperfection, ses doutes et son pessimisme. Il est question de quel sens donner à sa vie, de la nécessité ou pas de s'engager et, un peu en contrebande, d'une critique à peine voilée du régime qui règne sur la Turquie. Ceylan peut se faire prosaïque et cru, quand il fait parler ses professeurs qui enseignent dans un village perdu, mais aussi ambigu, avec une élève dont on ne sait si elle est ange et démon. Une fois l'été réapparu, comme une renaissance, tous les tourments et errements passés feront sens et éclaireront d'une lumière nouvelle cette région, qui ne connait que deux saisons.
A l'instant de pénétrer dans la salle pour 3h17 de tête à tête avec "Les Herbes sèches", nous taraude l'appréhension de rentrer ou non dans un récit somme toute aride.
Samet est un jeune enseignant dans un village reculé d’Anatolie. Alors qu’il attend depuis plusieurs années sa mutation à Istanbul, une série d’événements lui fait perdre tout espoir. Jusqu’au jour où il rencontre Nuray, jeune professeure comme lui
Le film est servi par une photographie belle et immersive, quant au récit il est plus complexe que ne le laisse à penser l'argument principal.
Il y est question de la pureté des êtres et des sentiments, de ceux qui rêvent et espèrent et de ceux qui ont renoncé, de ceux qui accueillent le prochain à coeur ouvert quand d'autres plus arides laissent jalousie et envie les envahir.
Merve Dizdar qui interprète Nuray et qui a remporté la palme d'Or de meilleur actrice est un des atouts du film tant son regard et sa volonté transperce le récit en de maintes occasions.
On a plus beaucoup l'habitude de voir des films qui prennent leur temps et qui peuvent présenter des conversations d'une quinzaine de minutes...
Quand c'est aussi brillamment filmé on en redemande
Après les titanesques "Winter sleep" et "Le Poirier sauvage" pour ne citer que les derniers, Nuri Bilge Ceylan est de nouveau en compétition à Cannes pour un nouveau film de plus de 3h en Anatolie, "Les herbes sèches". Dès les premières images, le cinéaste nous plonge dans une contemplation de la nature humaine. Maîtrisé de bout en bout dans sa photographie, son cadrage et ses silences, les comédiens, et surtout Deniz Celiloğlu, livrent un récit noir et mélancolique sur la lassitude d'espérer. A couper le souffle.
Il se dit qu’en Anatolie, il n’y a que deux saisons : l’hiver et l’été. C’est là que Samet et Kenan, professeurs de collège dans un village perdu, vont devoir affronter, chacun à sa manière et selon sa personnalité, l’ennui dû à l’isolement, la quête d’un amour impossible et la cruauté de leurs élèves. Sur ce dernier point, sans rejoindre le film de Cayatte « Les risques du métier », on découvre que la méchanceté de l’adolescence, liée à une parfaite immaturité, peut occasionner des dégâts propres à faire désespérer du métier d’enseignant. Les personnages sont parfaitement définis, le jeu des acteurs est crédible et le spectateur ne peut que s’apitoyer sur le sort réservé aux profs. L’environnement, sublimé par une photo admirable, souligne la désespérance du personnage principal, Samet, à la recherche de ses idéaux perdus, à en devenir désabusé et cynique. La rencontre avec Nuray, jeune femme également enseignante brisée par la perte d’une jambe dans un attentat-suicide, est un grand moment de dialogue où s’affrontent l’engagement, la pureté, la foi en l’homme social de l’une, et la « lassitude d’espérer », la toxicité, l’individualisme égoïste de l’autre.
Encore une merveille narrative et filmique de Nuri Bilge Ceylan avec ce récit axé sur trois enseignants, et révélant les contradictions de ses personnages. Même si le dispositif reste le même que dans ses précédents métrages, le réalisateur continue à nous surprendre par l'intelligence de son art.