Film après film, le réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan construit une œuvre qui le place au plus haut niveau de l'art qu'il représente. Même si "Les herbes sèches" n'est pas tout à fait au niveau exceptionnel atteint avec "Winter Sleep", mon film préféré pour le 21ème siècle, il n'en est pas moins un film remarquable qui combine grand intérêt de l'histoire, finesse dans la façon de la raconter, somptuosité de l'image (Deux directeurs de la photographie se sont partagé le travail, Cevahir Şahin et Kürşat Üresin), excellence de l'interprétation ( Merve Dizdar s'est vue attribuer le prix d'interprétation féminine au récent Festival de cannes mais Deniz Celiloğlu, le principal interprète masculin, aurait pu recevoir la même récompense côté masculin, même si le choix du japonais Kōji Yakusho, interprète du rôle principal dans "Perfect Days" de Wim Wenders, n'a absolument rien de scandaleux, bien au contraire). On n'est pas près d'oublier l'extraordinaire conversation entre Samet, un enseignant en arts plastiques qui se morfond dans le village de l'Anatolie où il a été muté il y a déjà 4 ans, un endroit qui ne connaît que 2 saisons, l'hiver et l'été (à noter que l'action du film se déroule presque exclusivement en hiver, dans des paysages enneigés d'une très grande beauté) et Nuray, une professeure d'anglais, activiste amputée d'une jambe à la suite d'un attentat, conversation au cours de laquelle les deux protagonistes discutent âprement de l'individualisme et de la force de l'action collective. On n'est pas prêt d'oublier la surprise que l'on ressent lorsque Samet sort de l'appartement de Nuray pour aller prendre une pilule (viagra ?) dans une lointaine salle de bain et traverse pour ce faire l'ensemble du studio dans lequel le film a été tourné. On n'est pas prêt d'oublier le magnétisme dégagé par Sevim, une jeune élève que Samet avait tendance à chouchouter et qui va le trahir pour un prétexte futile mais important pour elle. On n'est pas prêt d'oublier le personnage de Samet, un personnage qui reçoit des volées de bois vert le lus souvent injustes de la part de certains critiques et de certains spectateurs, un personnage qui, certes, a des failles et un des intérêts du film est justement de nous les montrer sans angélisme et sans manichéisme et puis, des failles, qui n'en a pas ? On n'est pas prêt d'oublier l'évolution de la relation entre Samet et Kenan, un collègue qui partage un appartement avec lui, relation qui tend à se détériorer du fait des sentiments qu'ils se mettent à porter tous les deux à Nuray. On n'est pas prêt d'oublier les extraordinaires photos qui viennent se glisser dans le film, des photos prises par Nuri Bilge Ceylan et Ebru Ceylan, son épouse. "Winter Sleep" dure 3 h 16 ; "Les herbes sèches" dure 3 h 17. Dans "Winter Sleep", il n'y avait pas une seconde de trop. Dans "Les herbes sèches", il y a quelques scènes dans lesquelles on aurait pu couper au mitan du film. Ce qui explique "Winter Sleep" est un chef d'œuvre absolu alors que "Les herbes sèches" "n'est que" un très, très grand film !