Je n’ai jamais apprécié le jeu d’Isabelle Adjani. Quelque chose dans sa désinvolture, peut-être. Avec La Gifle, à 19 ans, elle joue son âge & c’est justement ce caractère qui lui vaut d’être parfaite dans son rôle, alors je l’ai un peu redécouverte.
Pinoteau se situe dans la lignée très féconde de l’art des années 70, d’où il tire le film étudiant qu’on attend de lui avec quelques très bonnes tirades. Lino Ventura, père d’Adjani & professeur, remarque par exemple que l’heure passée avec ses élèves n’est pas la même pour lui que pour eux, pourtant il ne comprend pas mieux sa propre fille pour autant.
Ce paradoxe bien connu & joliment mis en mots, sur fond d’une intrigue policière qui nous pousse à croire que l’on va vivre une histoire pleinement soixante-huitarde, ouvre donc sur un père & sa fille, ou le professeur & l’élève, ou le conservateur & la progressiste, donc une mésentente. Si Pinoteau s’en tenait là, on pourrait déjà lui donner le mérite d’avoir su accorder deux acteurs avec une grande richesse par-delà plusieurs gouffres, surtout celui de l’âge. Mais il a aussi su mettre une dimension comique discrète & efficace qui n’a, elle, cure des générations.
En ça, le film est déjà post-68 & ramasse le gros lot des innovations baby-boomesques quand il se transforme en défilé si dense & rapide de véhicules en tous genres qu’on se croirait chez Buster Keaton. C’est vrai, quand on y pense : un avion, un train, des voitures, des pétrolettes variées, un vélo & même un aéroglisseur, qu’est-ce que tout cela fout là ? C’est juste la jeunesse qui prend sa liberté sous cette image peu discrète, de toute façon symptôme d’un rythme soutenu – dans tous les sens du terme.
Guidé par une énergie qui n’investit pas seulement les jeunes, le casting arrive même à faire jouer un rôle à ses rôles. Ils ne sont pas seulement bien trouvés : avec l’adorable soupçon de cliché que cela oblige, on a le père bloquant, la révoltée, le cuistre, le bosseur, le gentil, la mère compréhensive, bref, tout un bestiaire protagonologique à découvrir.
Ensemble, les acteurs soutiennent sans peine une histoire assez carrée quand on prend du recul, mais qui en direct jongle habilement entre les luttes estudiantines, la dirigeance & les désirs de chacun, entremêlés jusqu’au bazar émotionnel. Le scénario dérape un peu lui-même dans cette immaturité qu’il veut dépeindre sans juger, car elle finit par rompre plus de choix qu’il n’en faut pour qu’Adjani ne devienne pas, de personnage déluré, l’actrice délurée que je n’aime pas. Heureusement, il y a les prolongations.
Le film est en effet un bon quart d’heure plus long qu’on ne s’y attend, car Annie Girardot arrive tard mais elle a son (gros) mot à dire. C’est la pièce manquante dans un jeu qui n’est pas d’échecs & révèlant que le film n’est, finalement, pas le bon film estudiantin qu’on croyait ; il surnage même plutôt dans le genre (sans doute Pinoteau avait-il déjà trop de sa cinquantaine). Mais c’est un bon film dans bien plus de genres qu’il n’aime à le croire lui-même.
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