"La gifle" : un titre percutant qui met la toute jeune Isabelle Adjani face à un monument du cinéma français, Lino Ventura. Mais qui va donner la gifle ? Un papa campé par un Lino Ventura dont on sait qu’il a la main parfois leste ? Ou sa fille (Isabelle Adjani) poussée par un vague sentiment de rébellion ? Est-ce que ce sera une gifle physique, ou une gifle plus d’ordre psychologique ? Ma foi, même si on se doute un peu de la réponse, l’une ou l’autre est probable, ou pourquoi pas les deux. Cela dit, ne comptez pas sur moi pour vous révéler quoi que ce soit afin de ne pas vous gâcher le face à face que se livrent Ventura et Adjani. Quoique l’expression « face à face » me parait un peu fort, en tout cas inapproprié mais je n’en vois pas d’autre. Ce que je peux dire en revanche, c’est que Claude Pinoteau explore un sujet que vous, moi, tout le monde peut rencontrer. Autrement dit un sujet universel, toujours d’actualité en dépit du fait que le monde a bien changé depuis 1974. En effet, la mise en scène du scénario qu’il a co-écrit avec Jean-Loup Dabadie montre bien combien il est dur dur pour un(e) adolescent(e) de grandir, de s’affirmer et de trouver sa place, et forcément pour un papa seul dur dur d’être papa. Et si à travers sa réalisation il a réussi à rendre compte de ces faits maintes fois constatés, il le doit principalement à la bonne interprétation de ses deux acteurs vedettes. Malheureusement, on ne retiendra pas grand-chose de ce film hormis le principal qui ne propose rien de véritablement marquant. En tout cas pas grand-chose, mis à part la dispute entre un père et une fille qui perdent pied mutuellement, ponctuée par une réplique dure prononcée par un père soudainement envahi par le trop plein des non-dits. Remarquez, on peut le comprendre tant les yeux bleus d’Isabelle Adjani a de quoi troubler les hommes les plus réfractaires au charme féminin. Pire, ils vous attirent et ne vous donnent qu’une envie : s’y perdre corps et âme, jusqu’à se sentir tout nu. On retiendra également le contraste entre un Lino Ventura un tantinet bourru, animé par un charisme de tous les instants qui lui donne une assurance qui rend inébranlables ses prises de décisions… et une Isabelle Adjani plus impulsive, plus fragile, plus timide, plus candide. A l’inverse des deux comédiens principaux pleins de bonne volonté, la réalisation m’a paru plate et quasiment sans âme. C’est dommage parce que le film n’est pas désagréable à regarder en soi, mais il déçoit en regard d’une entame vraiment accrocheuse. Cela m’a fait l’effet d’un soufflé qui retombe, sans s’aplatir complètement. Un peu plus de profondeur aurait été bienvenu, ainsi qu’un meilleur traitement de la bande-son car quelques répliques nous échappent par leur diction écrasée. A cela on rajoute des scènes mal faites, comme la chute en vélo. Enfin disons plutôt qu’elle est surfaite. Il n’empêche que cette fameuse gifle, tant attendue sous quelle que soit sa forme, marque le tournant du film. Un tournant qui fait entrer en scène Annie Girardot. Une Annie Girardot qui a aussitôt vite fait de redonner du peps à un film quelque peu paresseux sur les bords grâce à son tonus et au sens de la répartie qu’on lui connait. En plus, elle montre elle aussi un jeu intéressant quand on la voit à l’aéroport poser un regard bienveillant sur sa fille, aussitôt suivi d’un rictus de déception. On notera au passage les brèves apparitions de Richard Berry, ainsi que celle d’André Dussolier, qu’on remarque forcément du fait qu’on connait vaguement leur tête. Voilà qui peut être intéressant de repérer des visages maintenant bien connus alors qu’ils étaient encore jeunes : il y en a d’autres, mais je vous laisse le soin de trouver qui encore. Comme pour eux, je ne jugerai pas de la prestation de Nicole Courcel, disparue trop tôt dans le film alors qu’il me semble qu’il y avait quelque chose à faire, ainsi qu’elle l’avait démontré avec beaucoup de justesse quand elle a été à l’écran. Mais au moins, ça nous a donné un adieu à la douleur mal cachée comme on a pu en voir tant sur les quais de gare, point d’orgue d’un changement de vie radical pour Jean Doulean qui a précédemment bien exposé le sacerdoce d’un enseignement déjà en prise avec des problèmes de discipline et de respect. Quant à Francis Perrin, il apporte une touche d’humour grâce au ridicule qu’il dégage. A ce jeu-là, il est très fort ! Mais j’y pense… c’est vrai qu’il a une tête à claques ! Plus surprenant, il a su par moments apporter un peu de finesse quand il essaie d’aborder le prof pendant et après le match de foot. Pour finir, on peut considérer la fin comme l’ensemble du film, c’est-à-dire inabouti. Je vois cette ambiguïté plutôt d’un bon œil, car c’est une façon de dire que tout n’est pas fini, que tout n’est pas réglé, le problème semblant se déplacer sur un Lino Ventura plein d’espoir et empli d’incertitudes craintives en même temps, tandis qu’Annie Girardot semble à l’heure de grandes décisions pourtant marquées aussi de grandes hésitations. Un jeu de regards superbe qui veut dire beaucoup de choses selon la perception propre à chaque spectateur qui imaginera la suite à sa guise. Un jeu de regards superbe qui témoigne de l’immense talent des deux acteurs. Un film qui ravira certains par les souvenirs qu’il réveille et par les quelques bons points énumérés ci-dessus en plus de belles prises de vues (comme celle du tube cylindrique qui marque l’entrée de l’immeuble et des escaliers). Un film qui ne réveillera pas l’enthousiasme chez d’autres. Un film ni bon ni mauvais, ou tantôt bon et tantôt moins bon pour ceux qui restent.