Avec ce film, c'est la première fois que Wissam Charaf ne parle pas de son histoire personnelle mais de celle des autres. Avec deux grandes causes, qui ne le concernent pas au premier chef : les réfugiés syriens et les travailleurs domestiques. Le metteur en scène explique :
"Pourquoi j’avais précisément envie de parler de ça ? Probablement parce que c’était la guerre en Syrie, parce qu’on était en permanence face aux réfugiés, que je faisais des reportages à répétition sur leur condition, et donc je voyais comment ils arrivaient dans les villes."
"Ils étaient sous nos immeubles cossus à mendier du métal pour tenter de le recycler, des jeunes gens désoeuvrés qui n’avaient que leurs mains pour travailler, qui étaient dans le dénuement le plus total. Et au même moment la cause des travailleurs domestiques frappait à nos portes."
"Ces femmes, on en trouve dans nos familles, chez les gens autour de nous, et je me suis rendu compte à quel point elles vivaient des vies complètement différentes des nôtres."
Pour autant, Wissam Charaf ne voulait pas faire un film à la Ken Loach : "C’est un cinéaste que je respecte mais je ne me sens pas d’investir le champ du cinéma social. Sauf que d’un seul coup je me suis rendu compte qu’il y avait ça autour de moi. L’autre déclic, c’est ce film d’Ulrich Seidl, Paradise, qui enferme ensemble une catholique extrémiste et un musulman tout aussi extrémiste, de manière très frontale."
"Comment, à l’instar de ce film, marier des choses impossibles ? Bon, il y a un tas d’autres choses impossibles au Liban, mais une histoire d’amour entre un réfugié syrien et une domestique, deux marginaux, me semblait vraiment incarner cet enjeu. Le Dirty Difficult Dangerous du titre, c’est ça, un amour sale, dur et dangereux, parce que complètement interdit", confie le metteur en scène.
Il existe au Liban tout un horrible système, la kafala, autour de ces travailleurs domestiques, qui les plonge dans la servitude. Wissam Charaf raconte : "Il existe dans beaucoup de pays arabes, dans les pays du Golfe notamment. Où les passeports des domestiques sont systématiquement confisqués, où ces gens ont très peu de droits."
"Au Liban, ils espèrent faire fortune parce qu’ils sont payés en dollars - ça c’était avant la crise, mais le film parle de ce temps là. Ils arrivent via des bureaux, des agences, qui leur donnent un semblant de légalité, puisque le gouvernement apporte son blanc-seing à cette pratique. C’est comme un carcan légal, qui a un effet assez ravageur."
Avec Dirty Difficult, Dangerous, Wissam Charaf reste fidèle au format 1.33 : "Je trouve ça plus beau, vraiment. A l’époque de Tombé du ciel, je pouvais arguer que le format était en adéquation avec une idée que je me faisais du passé. Maintenant, c’est juste une réaction purement esthétique. Ma façon de faire est simple : c’est prendre un objectif 50 mm en 1.33, de le mettre sur la caméra et d’essayer de faire rentrer les choses dedans. Au lieu de faire l’inverse. Je pense que ça donne une identité visuelle au film."
Avec Dirty Difficult, Dangerous, Wissam Charaf s'est autorisé plusieurs nouveautés. La plus importante : mettre une femme en scène. Le réalisateur confie : "Charlotte Vincent, ma productrice, me dit qu’à partir du moment où je mets des femmes dans mes films et où je m’autorise à parler d’amour, mon cinéma s’améliore. Filmer quelqu’un qui pleure, pour moi c’est une grande évolution."
"Sinon je me suis autorisé un Steadycam au début du film, quelques travellings, une caméra qui bouge. Martin Rit, le chef opérateur et moi on évolue, il me fait des propositions, parfois c’est oui, parfois c’est non, mais bon, comme pour chaque vieux couple, on essaie des choses. Pour d’autres cinéastes, c’est normal, pour moi c’est un gros effort. Faire un plan à la Steadycam, oui, c’est presque me faire violence."
Le personnage d'Ahmed chamboule les figures de prédilection de Wissam Charaf : il ne s'agit pas d'un anti-héros libanais comme dans ses films précédents : "Autant dans Tombé du ciel le sujet me concernait directement, donc je pouvais me moquer de moi-même, de mon peuple, de mon présent comme de mon passé, autant là je suis face à quelque chose de plus grave et de plus éloigné."
"Je parle de gens qui souffrent aujourd’hui. Je ne voulais pas être dans la représentation des règles de la souffrance (montrer frontalement des gens qui souffrent ne m’intéressent pas), je voulais la mettre en scène de façon détournée la souffrance reste la même. Ici deux personnages à qui il arrive en permanence des choses très violentes – parfois il s’agit de violence physique, mais pas uniquement."
"Il faut alors moduler cette violence, jouer sur d’autres nuances, d’autres subtilités, afin que ce soit moins monotone et frontal. Avec pour corollaire un mélange moins directement comique."