Avant la loi Veil
Depuis 2016 et son joli film Aurore, Blandine Lenoir n’était pas revenu sur les écrans. Elle nous propose un formidable film engagé et d’une intelligence rare. Février 1974. Parce qu’elle se retrouve enceinte accidentellement, Annie, ouvrière et mère de deux enfants, rencontre le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception qui pratique les avortements illégaux aux yeux de tous. Accueillie par ce mouvement unique, fondé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs, elle va trouver dans la bataille pour l’adoption de la loi sur l'avortement un nouveau sens à sa vie. Le MLAC… Ça sonne comme une gifle et c’en est bien une, car l’histoire du MLAC fait bien partie de l’histoire politique de la France. 120 minutes qui savent éviter le glauque et le tragique pour un sujet pourtant plus que sensible. Un must incontournable.
Ce désormais fameux Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception a été fondé en 1973 par des médecins militant•es- et des féministes, en réaction aux centaines de décès provoqués par des avortements clandestins. C’est bien cette histoire que Blandine Lenoir a voulu mettre en lumière. On apprend comment ce mouvement a contribué de manière décisive au changement de la loi sur l’avortement, et comment et pourquoi il a été « invisibilisé ». Le roman national est nourrit de ces « grands hommes », en l’occurrence ici une « grande femme » : tout le monde connait le combat héroïque de Simone Veil, mais on a oublié les militant•e•s qui ont poussé Giscard d’Estaing à modifier la loi. Parmi les différents angles qui se proposaient à elle pour aborder un tel sujet, Blandine Lenoir a choisi de se focaliser sur des femmes ordinaires qui devenaient militantes grâce à un événement intime, et non pas par théorie politique. C’est la lutte qui les a réunies, d’où qu’elles viennent, ouvrières et bourgeoises, médecins et non-médecins, créant une « classe de femmes », toutes à égalité dans le combat pour la liberté. Tout le monde doit connaître ce moment de notre histoire… même les hommes ! J’ajoute cette remarque car, dans la séance à laquelle j’ai assisté, j’étais le seul représentant du sexe dit « fort » parmi une assemblée de femmes. Il reste visiblement pas mal de chemin à parcourir, surtout quand on constate que quelques mouvements politiques ou activistes ne renoncent pas à l’idée de revenir sur la Loi Veil. Messieurs, ne mourrez pas plus idiots que vous êtes et oser aller voir cette comédie dramatique plus qu’édifiante.
C’est devenu une habitude, mais une fois de plus l’incroyable Laure Calamy crève l’écran. Elle est bouleversante de justesse et de sincérité dans la peau de cette femme soumise qui tout à coup, grâce à cette lutte, se découvre une force, une puissance qu’elle ne se soupçonnait pas du tout. A ses côtés, Zita Hanrot, India Hair, Yannick Choirat, Eric Caravaca sont des valeurs sûres, mais pour moi, la grande révélation de ce film reste la chanteuse franco-américaine Rosemary Standley que je verrai bien recevoir un César du meilleur second rôle féminin en 2023. Finalement après la loi Veil, il ne restait plus que l’aspect médico-juridique, l’objectif féministe de la prise en main des femmes de leurs corps ayant échoué. Il restait – et il reste – encore beaucoup à faire et à gagner pour les femmes. La lutte continue et ces deux heures y contribuent pleinement. Un film choral solaire, bourré de tendresse et de générosité à ne rater sous aucun prétexte. Un des films de l’année 2022.