Intensité dramatique, dialogues de grande qualité, thématiques riches et profondes pour ce film qui va bien au-delà du simple récit d’un fait divers et de son procès. Alice Diop, qui vient du documentaire, pose un cadre formel fondé sur l’épure et la distance. Pour évoquer l’histoire de l’accusée, elle refuse de s’aventurer sur le terrain de la reconstitution ou de l’immersion émotionnelle, même si l’émotion finit par jaillir vers la fin, frontalement, puissamment, lors de la plaidoirie de l’avocate. Dans le petit théâtre minimaliste d’une salle d’audience, la réalisatrice expose, laisse voir, laisse entendre, sans juger, mais en offrant son regard, son oreille. Éloquence passionnante. Il y a beaucoup d’intelligence dans la mise en scène, la mise en mots, la mise en silences, pour sonder de multiples mystères autour d’un parcours de vie, autour de la question de la maternité et de l’infanticide, du troublant pouvoir de donner à la fois la vie et la mort. Le portrait tragique de cette Médée moderne, noire, est abordé dans toute sa complexité, sans prétendre saisir l’insaisissable. Il est question d’éducation et de pression, d’ambition et d’humiliation sociales – sur fond de racisme ordinaire ou de relents post-coloniaux –, d’orgueil et de colère, de vérités et de mensonges, de solitude et d’isolement, d’intelligence et de délire. Le portrait donne aussi à ressentir une humanité et une monstruosité des abysses, quand une mère laisse son enfant à la mer… Ce pan de l’histoire, sourdement déchirant, est la grande réussite du film. L’autre pan, c’est le contrepoint avec le personnage de l’écrivaine. Autre point de vue. Jeu de miroir, de résonances entre les deux femmes, habilement déployé pour élargir le champ de réflexion sur les liens filiaux et plus précisément les relations mères-filles. Sur ce pan, la fibre est plus émotionnelle, viscérale, et le dispositif s'avère intéressant, même s’il y a quelques répétitions et même si, en voulant boucler la boucle, la réalisatrice tarde à conclure. Pourquoi ne pas avoir terminé le film sur les vues de Saint-Omer et la chanson de Nina Simone ? C’eût été parfait. Petit regret qui n’enlève rien à la conviction d’avoir affaire à du très bon cinéma.