Un film qui aurait gagné, sans doute, a être nettoyé d'un certain nombre d'affèteries, parce que la réalisatrice s'attache un peu trop à ses propres états d'âme et que nous, ce qui nous intéresse, c'est de comprendre comment une mère (une bonne mère?) a pu commettre ce geste monstrueux: abandonner son bébé de 15 mois sur une plage, à la marée montante.
Lorsque ce fait divers qui nous a tous bouleversés s'est produit, en 2013, la documentariste Alice Diop s'est rendue au procès, s'est sentie s'identifier à la mère, sénégalaise comme elle -et puis, a fui, ne pouvant le supporter. Presque dix ans plus tard, elle s'est lancée dans sa première fiction, où son double est la romancière Rama (Kayije Kagame), enceinte, et qui s'interroge sur ses relations compliquées avec sa propre mère. Justement, elle travaille à ce moment sur Médée, l'infanticide....
Comme Alice dans la vie, elle assiste au procès et, comme elle, n'en sort pas indemne.
Celle qui pour le film a été rebaptisée Laurence Coly est (et restera sans doute) complètement opaque. Guslagie Malanda qui l'interprète est formidable car cette opacité, elle la rend palpable, prégnante. Fille de bourgeois, Laurence vient en France préparer une thèse.... sur Wittgenstein, excusez du peu. Elle veut devenir, à son tour, une grande philosophe. Et puis.... elle ne valide même pas sa licence, perd ses inscriptions en fac, devient une quasi clocharde quand elle est recueillie par un sculpteur, Luc Dumontet (Xavier Maly excellent aussi dans son assez brève prestation), beaucoup plus âgé qu'elle.
Quand il est interrogé, il n'est pas très convainquant, lui aussi demeure indéchiffrable au cours d'un interrogatoire où il semble très mal à l'aise, affirmant avoir adoré sa fille Lilly, affirmant se sentir coupable. Laurence au contraire l'accuse d'indifférence, d'égoïsme. Pourtant l'un et l'autre ont revendiqué, entre eux, une histoire d'amour...
Ce qui est également troublant c'est que Laurence s'exprime remarquablement bien, dans un français élaboré, recherché, elle parle d'elle de façon intellectuelle, détachée, comme s'il s'agissait d'analyser le comportement de quelqu'un d'autre.
Pourquoi a t-elle caché sa grossesse? Accouchant seule en l'absence de Luc, pourquoi n'a t-elle pas déclaré l'enfant, qui n'est ni vacciné, ni suivi médicalement? (Et pourquoi Luc de son côté, à son retour, n'a t-il pas bougé?) Enfin, pourquoi un jour a t-elle pris le train pour Berck, pris une chambre d'hôtel et abandonné Lilly sur la plage?
Ce qui est formidable, et là on voit bien la documentariste, c'est le soin avec lequel le procès d'assise est restitué, son cérémonial, mais aussi l'humanité du personnel judiciaire. La Présidente est remarquablement interprétée par Valérie Dréville. Elle réfléchit, elle essaye de comprendre, elle pose des questions simples, précises. Mais en fait d'explications n'a doit qu'à des rêves prophétiques, une malédiction qui aurait été lancée sur la jeune femme... Alors l'avocat général (Robert Cantarella) peut tonner en traitant Laurence de menteuse (ce qu'elle est, assurèment), l'avocate de celle ci (Aurélia Petit) tracer au contraire le portrait d'une fille qui s'est perdue, dans une terrible solitude -la vérité est ailleurs... Laurence pense avoir été envoutée, elle est donc folle. Point final.
Incontestablement un film passionnant, même si les états d'âme de Rama nous semble parfois un peu longuets. A voir absolument