Face à un film encensé par toute la presse francophone et récipiendaire d’un Lion d’argent à la Mostra de Venise, j’ai toujours un petit mouvement d’hésitation…parce que je me doute que le film en question ne va pas me permettre de passer ce que je considère comme une soirée relax et sans prise de tête mais aussi parce que si d’aventure le résultat m'agaçait profondément, j’aurais quand même le sentiment d’être une truffe : déjà que presque aucun film des Dardenne n’a trouvé grâce à mes yeux et ne m’a procuré autre chose que des bâillements irrépressibles ! Dans le cas de ‘Saint Omer’, on a affaire au premier long-métrage de fiction d’une cinéaste afro-française qui imagine un procès pour infanticide inspiré de la véritable affaire Fabienne Kabou en 2013. Venue du documentaire, Alice Diop signe un film rigoureux et austère, exclusivement centré sur la précision de la langue et sur les idées qu’il développe : on n’est pas dans cette salle de tribunal pour les effets de manche ou une sous-intrigue qui détendrait un peu l’atmosphère, si ce n’est, assez indirectement, celle de Rama, une jeune femme qui assiste à l’audience et qui partage avec l’accusée une maternité et une couleur de peau. Le véritable procès Kabou avait littéralement obsédé Alice Diop, moins pour le fond culturel qu’elle aurait pu partager avec la meurtrière que parce que l’infanticide cumulait une réprobation unanime et une résonance particulière chez toute femme. Si, au passage, elle soulève quelques réflexes de paternalisme inconscient présents dans la société française (le compagnon de la jeune femme, qu’on ne peut soupçonner de xénophobie, s’émerveille du langage soutenu de l’accusée, ou la directrice de thèse qui s’étonne qu’une femme d’origine africaine puisse étudier Wittgenstein “au lieu de quelqu’un de sa propre culture”) et l’insécurité propre à toute appartenance à une double-culture, la réalisatrice recherchait en réalité l’effet inverse, qu’une histoire à la portée universelle soit portée par des acteurs noirs. C’est son obsession de comprendre ce qui s’est joué pour qu’un tel drame se produise, bien consciente que sa quête est vouée à l’échec, qui la pousse à interroger les représentations pour en tirer des éléments d’explication : être la meurtrière de son propre enfant, est-ce être tout le contraire d’une mère ? Porter un enfant, est-ce s’émanciper de son rapport à sa propre mère ? L'appartenance à une culture implique-t-elle de renoncer à l’autre ? Toutes ces questions, auxquelles le film n’apporte pas de réponse évidente, s’incarnent dans cette accusée hiératique, qui choisit calmement ses mots, une jeune femme brillante mais souffrant des blessures mal définies, au point de soupçonner que sorcellerie et maraboutage ont quelque chose à voir dans son passage à l’acte. ‘Saint Omer’ est une méditation philosophique, un film qui pousse à la réflexion plutôt qu’à l’acceptation de réponses imposées, un film (sur/avec/pour) les femmes avant d’être quelque chose qui porterait une critique sociétale ou une reconstitution judiciaire, bien aidé en cela par une mise en scène qui, sous des apparences simples, s’avère d’une implacable précision.