« Les Amours d’Anaïs » : une sensualité à fleur de peau
Anaïs est belle. Délicieusement belle. Encore plus belle quand elle court. Or elle n’arrête pas de courir, et ce pour notre plus grand plaisir. Anaïs, c’est bien sûr Anaïs Demoustier que l’on parvient sans peine à identifier au personnage qu’elle incarne même si elle s’en défend. Mais le fait d’avoir retenu son prénom dès l’annonce du titre ne peut qu’autoriser une possible identification.
Anaïs – celle de la fiction (essayons de la distinguer de la vie « réelle ») – ne cesse de courir : nous l’avons dit, mais il s’agit bien d’un leitmotiv chorégraphique qui donne à son personnage une légèreté permanente, tant d’un point de vue physique que psychologique. Anaïs revendique l’inconstance : elle ne saurait se fixer avec les êtres qu’elle aime. Elle a la grâce du papillon qui vole de fleur en fleur après en avoir épuisé le suc. Nous la voyons d’abord en compagnie d’un jeune garçon qui l’aime et dont elle est enceinte. Mais Anaïs est fatiguée de cette liaison et ne saurait devenir mère.
Elle succombe alors aux charmes de Daniel (Denis Podalydès), un homme d’âge mûr qui ne dispose pas toujours des ressources nécessaires à un acte sexuel en bonne et due forme. Qu’à cela ne tienne : il a au moins l’avantage d’avoir une compagne, Emilie (Valeria Bruni Tedeschi), qui va rapidement intéresser notre Anaïs. Celle-ci s’initie alors aux joies du saphisme – ce qui nous vaut une jolie scène intimiste sur une petite plage perdue des Côtes d’Armor.
Il y a quelque chose de libertin dans le film de Charline Bourgeois-Tacquet – et ce n’est pas la scène nocturne dans le cabinet secret où abondent les gravures érotiques qui nous fera penser le contraire. Anaïs – celle de la fiction – prépare une thèse de doctorat sur l’écriture de la passion au XVIIe siècle. Comme on l’eût plutôt attendue sur le même sujet… au XVIIIe ! Ce qui est certain, c’est que le personnage baigne dans la littérature : Anaïs lit beaucoup et ce n’est pas un hasard si elle s’éprend d’une écrivaine qui trouve aussi de son côté un beau moyen d’expérimenter ainsi de nouvelles aventures romanesques.
Le film est sans conteste une comédie : on y trouve la légèreté, l’humour et le cynisme d’un Philippe Le Guay, mais aussi l’art du développement et du rythme cher à Claude Sautet. Un film de cinéphile sans nul doute, mais aussi d’une amoureuse de la littérature et du théâtre que l’on devine éprise de la dramaturgie d’un Marivaux ou des contes libertins de Crébillon.
Inutile de dire combien la distribution a de quoi ravir, depuis la tourbillonnante Anaïs Demoustier, si sensible et si intelligente, jusqu’à Anne Canovas qui, incarnant la mère d’Anaïs, confère une part de gravité non négligeable à ce film qui est tout sauf une banale comédie, en passant par Denis Podalydès, toujours aussi drôle quand son rôle l’exige, et Valeria Bruni Tedeschi, affichant sans complexe ses 56 ans (l’âge d’Emilie…) et donnant à son personnage une réelle intensité dans l’expression de l’amour.
Oui, le film de Charline Bourgeois-Tacquet est une célébration de l’amour sans complexe, une ode au désir qui ne se connaît pas de limites, mais aussi le succulent portrait d’une jeune femme d’aujourd’hui, d’une trentenaire que l’on devine soucieuse de repousser le plus longtemps possible l’entrée dans ce qu’il convient d’appeler la vie d’adulte.