Porté par une démarche très intime et très créative, ce Little Girl Blue est tout autant le vecteur d’un travail de deuil et de catharsis qu’un véritable objet de cinéma. Le film est riche et original sur bien des plans : biographique, thématique, thérapeutique, stylistique… Plusieurs éléments de l’enquête biographique captivent ou sidèrent. Il y a d’abord cette étrange récurrence sur plusieurs générations, de mère en fille, chacune devenant à sa façon enquêtrice sur sa génitrice. Récurrence également de quelque chose de maudit dans ces destins de femmes. Et de troublant en termes de filiation. Dans cette matière familiale aux histoires qui s’emboîtent, il est question de vie intellectuelle, d’écriture et d’écrivains, de sexualités débridées, de violences, de compromis et de lâcheté. Il y a ensuite le parcours de vie spécifique de Carole Ayache, fait d’emprises et de rébellions, d’errances et de dérives, puis de « banalisation », de sentiment d’échec. Cette « identification d’une femme », par sa fille, se traduit en une architecture narrative étonnante. Architecture puzzle, fruit d’un beau travail de montage, mêlant archives et prises de vue. Architecture « transgenre » : entre documentaire et fiction. La mise en scène joue habilement avec la mise en abyme (la rencontre avec Marion Cotillard, le récit du film en train de se faire, la variation des décors au sein d’un seul lieu de tournage – le petit théâtre du grand appartement de Carole Ayache…). Quant au travail d’actrice de Marion Cotillard, en termes d’incarnation, de doublage de voix, de positionnement par rapport à son interlocutrice privilégiée, sur différents niveaux de réalité et de temporalité, il est rendu de manière unique et assez fascinante. Bref, ce film transcende bien des frontières pour mieux transcender un passé, celui de la réalisatrice-actrice et celui de son ascendance féminine. Le résultat est intelligent et sensible, constamment inventif, puissamment douloureux par moments. La douceur, l’apaisement et la mélancolie qui se dégagent de la dernière scène, alors que résonne la chanson éponyme de Janis Joplin, n’en sont que plus touchantes.