Le cinéma Ursula Meier (Home, L'Enfant d'en Haut, Les Ponts de Sarajevo) oriente souvent la gravité d’une situation vers son expiation. Ce nouveau récit ne fait pas exception et trouve un autre résonnement dans une cellule familiale, en pleine crise de nerfs. La distanciation physique devient donc tout le prétexte, éloignant une fille de sa mère et les obstacles s’empilent, en laissant toujours une visibilité des deux côtés de la frontière, pour ne pas ressentir cet isolement. Il s’agit pourtant du sujet traité et questionné, à la force de deux comédiennes, jouant chacune d’une partition différente sur le papier, mais bien complémentaire à l’écran. Dommage que l’on ne parvienne pas toujours à profiter de cette tension, que la cinéaste peine à maintenir du côté de son intrigue.
Un démarrage par une collision muette, des ralentis dans la violence et la fantaisie, l’ouverture a tout pour déstabiliser et poser les fondements d’une injonction d’éloignement, qui sera par la suite peint d’une grande ligne bleue. Tel un piano, Margaret (Stéphanie Blanchoud), est le marteau qui frappe la corde sensible de sa mère (Valeria Bruni Tedeschi), la reliant au son et par extension à une note d’intention. Si l’on ne revient jamais sur les causes de l’incident, Meier préfère se tourner vers la conscience de son héroïne, couverte de bleus et à la réaction bien sanguine. Il faudra un moment pour s’échapper de cette condition, qui fracture ses relations avec son passé. Sa famille est derrière elle, tout comme son ex-compagnon musicien (Benjamin Biolay). Ce dernier agit d’ailleurs comme une pommade dont elle a réellement besoin, afin de pouvoir prétendre à une écoute qu’elle redoute.
La communication est donc brouillée pour ces personnes, qui hurlent seules, où les montagnes environnantes renvoient leurs représailles ou leurs prières à leur solitude. On pensera notamment au mysticisme chrétien de la sœur cadette, Marion (Elli Spagnolo), dont on ne comprendra ni l’usage, ni l’intérêt, ce serait-ce que pour justifier un mélodrame à peine surligné. Ses rendez-vous récurrents à la frontière de leur domicile devraient toutefois susciter un peu de générosité dans cette étude, mais on se refuse de franchir cette barrière, sous peine réduire les chances de réconciliation à néant. C’est pourtant au-delà de cette ligne que les cours de chants s’enchaînent, à la vue de tous et rares sont ces moments de grâces, qui osent briser les règles. D’autres personnages gravitent également autour de cette maison, dont une autre sœur enceinte (India Hair) et une récente conquête de la mère (Dali Benssalah) qui restent attaché à leur registre, sans qu’on leur offre une véritable volonté.
« La Ligne » fonctionne donc ainsi, en établissant le portrait de la violence par le silence ou plutôt dans le refus de communiquer. Au lieu de cela, on freine ses envies, on s’encapsule dans un confort que l’on croyait bénéfique, jusqu’à ce qu’on se rende compte de ce qu’on a réellement perdu. Les héroïnes passent ainsi leur temps à vouloir effacer les bleus qu’elles ont elle-même tracer. Toute l’intrigue les mène à se confronter dans le même plan, quand bien même cela peut sonner faux ou peut transpirer de faux-semblants. Il n’y a aucun masque à enlever ici, car tout le monde y émiette ses plaies et ses remords, balisant ainsi la trajectoire d’un retour pénible, mais possible.