Jeudi 29 octobre 2020 18h30 : dernière séance de cinéma avant le Confinement Opus 2. Ai vu "ADN" de Maïwenn. Quelle chance d'avoir vu ce film d'une intensité folle et essentiel dans ces questionnements, juste avant d'entamer cette deuxième période d'enfermement. La salle est pratiquement pleine (si ce n'est les places vides entre les spectateurs pour distanciation sociale), tout le monde a son masque scrupuleusement sur le nez, personne ne mange de pop-corn ou de sandwich, chacun est là pour la même raison à savoir profiter de ces quelques dernières heures pour voir un dernier film et pas n'importe quel film... Un film de Maïwenn qui est une des rares metteur en scène à si bien parler de l'humain, du groupe, de la famille, du ressentiment, de qui l'on est au plus profond de nos tripes. Certains réalisateurs filment des histoires, d'autres des personnages principaux, d'autres uniquement des situations, d'autres rien.... Maîwenn filme des affects subtils, dérangeants, vrais, intenses, forts, très forts, trop forts ! Juste avant d'entrer en hibernation obligatoire, quel bonheur que de prendre ce shoot de vie. Il y a deux parties dans ce film. Tout d'abord un film choral dont une magnifique scène d'ouverture dans une maison de retraite où une famille (une quinzaine des membre) viennent fêter la publication d'un livre sur leur pilier, leur patriarche, leur phare : Le grand-Père Emir émigré algérien qui s'est installé en France dans sa jeunesse. Seule Maïwenn réussit actuellement à faire réellement vivre plus de dix personnages en même temps à l'écran, sans enfermer ces 10 rôles dans des traits de caractères binaires et outranciers, sans laisser un seul comédien prendre le dessus où le laisser pour compte. Cette longue scène d'introduction est pleine de vie, de preuves d'amour, de regards qui sont plus intenses que bien des mots, de silence lourd de sens et d'aigreur, de larmes retenues en serrant les dents, de larmes qui ruissellent et de tripes qui se tordent, de baisers vitaux, d'embrassades étouffantes et vraies, de mots libérateurs et qui font du bien.... Puis le Grand-Père meurt... et cette famille se retrouve démunie, et encore plus désunie. Cette famille mosaïque se retrouve à devoir travailler sur la résilience, la tolérance, ses origines algériennes, ses choix de vie... En ces temps mouvementés sur la laïcité, la religion musulmane, la nationalité... Maïwenn répond avec ce film de façon personnelle, généreuse et non didactique à pas mal de problématiques. Ce film tombe à point et hélas doit quitter l'affiche au bout de quelques jours. La deuxième partie du film est centrée sur Neige (Maïwenn) qui grâce à un test ADN va à la rencontre de ses origines algériennes qui ont été mises sous le tapis par la génération de ses parents. Maïwenn on le sait tous, aime les acteurs et ça se voit. Jamais Fanny Ardant n'a été plus juste, plus naturelle, plus libre que depuis les films de Truffaut et Resnais (c'est à dire il y a 30 ans), jamais Louis Garrel n'a paru si accessible et drôle, Dylan Robert est tout simplement bouleversant, on voudrait tous avoir Omar Marwan pour grand-père, et Maïwenn est solaire comme souvent. Maïwenn est une scénariste qui utilise beaucoup l'auto-fiction mais qui a l'instinct ou le don d'être à l'écoute de la société et qui sait amener en permanence son cas personnel à celui plus général d'une société entière. Plus que son propre ADN la metteur en scène interroge sur l'ADN national ? Qu'est-ce que ça veut dire être français de nos jours quand votre grand-père est issu de l'immigration, que certains membres de votre famille ont renié totalement ses origines, et d'autres l'ont entretenue, que votre père à des origines lointaines asiatiques, que vos frères et soeurs n'ont pas les mêmes parents que vous ? Tous le comédiens sont dirigés excellemment, et le travail du montage hallucinant de précision ne fait que renforcer la qualité du jeu. La dernière image que j'aurai vu au cinéma ce soir là est le sourire radieux de Maïwenn sur un immense écran. La salle se rallume, l'émotion est perceptible, tous les spectateurs restent assis jusqu'à la fin du générique... personne n'applaudit parce que l'on est sidéré par le film et par ce que nous allons devoir vivre pendant plusieurs semaines. Comme à un enterrement nous nous levons en silence pour quitter l'église sans se regarder les uns les autres, ayant trop peur de pleurer à nouveau. Les cinémas vont fermer j'en ai mal au ventre puisque c'est une de mes raisons de vivre, c'est mon essence. Alors j'emporte avec moi les engueulades, les embrassades, les cris, les mots d'amour, les fous rires de cette famille Fellah qui n'a strictement rien à voir avec la mienne et pourtant... Mille mercis Maïwenn pour cette paire de claque émotionnelle juste avant le confinement. Film essentiel et incontestablement le meilleur film français de l'année.