Quand il met en chantier “Pulsions », Brian De Palma âgé de 40 ans a réalisé douze longs métrages depuis 1966 dont quelques succès assez retentissants comme « Phantom of the Paradise » (1974), « Carrie » (1976) ou « Furie » (1978) qui le placent parmi les réalisateurs qui comptent même si spécialisé dans le cinéma de genre, il se situe dans l’esprit de la critique américaine un cran en dessous de ses « copains barbus » du nouvel Hollywood (expression empruntée à Billy Wilder alors qu’il évoquait ses difficultés à monter « Fedora ») qui ont à leur actif des succès mondiaux qui leur ont valu l’adoubement de la critique et la reconnaissance des festivals (« Taxi Driver » pour Scorsese, « Le Parrain » pour Coppola et « Les dents de la mer » pour Spielberg). Pas étonnant dès lors qu’il soit engagé sur des projets ambitieux comme « Cruising » ou « Le Prince New York », tous deux finalement réalisés par William Friedkin et Sidney Lumet. Frustré comme il le dit lui-même par sa difficulté à monter le projet autour du livre qu’était en train d’écrire Robert Daley sur sa propre expérience de commissaire délégué face à la corruption qui gangrénait le NYCPD dans les années 1970 (cf, « Le Prince de New York »), il rédige très promptement le scénario de « Pulsions » à partir d’articles et de livres sur le phénomène de la transsexualité qui l’intrigue et le fascine. Comme toujours chez De Palma, l’histoire est agrémentée d’éléments autobiographiques (ici le jeune héros joué par Keith Gordon accro aux nouvelles technologies, clone du De Palma adolescent qui espionnait caméra à la main son père adultère). Son agent, vend illico le scénario aux enchères pour 200.000 dollars (somme rondelette à l’époque). « Pulsions » est désormais sur les rails. De Palma, même s’il s’en défend, puise une nouvelle fois son inspiration de mise en scène chez Hitchcock, ouvrant et concluant son film par un hommage appuyé à la fameuse scène de la douche de « Psychose » (1960). Idem pour les thèmes qui rythment l’action comme le voyeurisme, le sexe refoulé puis réprimé ou l’obsession pour les femmes blondes. C’est d’ailleurs en référence à « Psychose » qu’il construit le premier tiers de « Pulsions », réussissant à crée le même sentiment de malaise indéfini que l’on ressentait face à Janet Leigh, héroïne furtive de « Psychose », secrétaire en fuite après avoir dérobé le magot de son patron. Mais nous sommes en 1980, soit vingt ans après le film choc que fut « Psychose » et De Palma peut maintenant exposer clairement les fantasmes sexuels qu’Hitchcock se contentait de suggérer avec son habituel sens de la dérision. L’accomplissement sexuel est clairement la quête de Kate Miller (Angie Dickinson), sémillante quinquagénaire dont nous allons partager pendant une demi-heure grâce à la virtuosité de la caméra de De Palma (Ralf D. Bode à la photographie) le très troublant, sensuel et maladroit cheminement vers le plaisir.
D’abord par une scène d’onanisme sous la douche qui en ouverture nous dévoile quel sera le ton du film mais aussi le degré de frustration atteint par cette femme recourant à la psychanalyse pour tenter de calmer le flot d’émotions contenues qui la submerge
. Ensuite par une scène d’anthologie au Metropolitan Museum of Art de New York (scène tournée en réalité à Philadelphie), variation virtuose autour de la scène du musée de « Vertigo » où une partie de cache-cache tout à la fois mutine et onirique met Kate Miller sur la piste de son accomplissement. La quête effrénée trouvera son acmé dans le cri de jouissance lâché en pleine circulation après un abandon aux foucades d’un inconnu sur le siège arrière d’un taxi.
Mais comme Hitchcock avait choisi de livrer sauvagement Janet Leigh à la lame tranchante de Norman Bates (Anthony Perkins) après nous avoir mis en sympathie avec elle, De Palma nous prive d’Angie Dickinson à peu près dans les mêmes délais et de manière aussi brutale, une cabine d’ascenseur remplaçant la célèbre cabine de douche. La pulsion sexuelle vécue de manière coupable par Kate Miller, sa réprimande en deux temps par la découverte tout d'abord de la maladie transmissible de son partenaire puis ensuite par la fin tragique de la candidate au plaisir
seront fortement reprochées à De Palma comme l'affirmation de sa part d'une position antiféministe dans la droite ligne de la reprise en main puritaine qui sourd depuis la fin du flower power née quelque part aux abords de Cielo Drive, là-même où Sharon Tate, la femme de Roman Polanski, avait trouvé la mort sous les coups de poignard des séides de Charles Manson (le 9 août 1969). Une régression brutale bientôt confortée par l'apparition du Sida, vue par les milieux réactionnaires comme le réveil de la volonté divine du retour à un ordre établi. Extrapolation erronée selon De Palma d'une critique toujours prompte à faire dire aux films plus que leurs auteurs avaient en tête. La polémique qui liguera contre le réalisateur les milieux féministes et gay (transposition sur l'homosexualité de son approche répressive de la transsexualité) suivie de la mini bataille d'Hernani que se livrent les critiques Pauline Kael, fervente avocate de De Palma depuis ses débuts, et Andrew Sarris l'accusant d'être un Hitchcock aux petits pieds. Tous ces remous feront beaucoup pour le succès du film qui sera le plus rentable de la carrière du réalisateur sans aucun doute conscient au préalable du parti à tirer de la marque transgressive des thèmes choisis. La suite du film consacrée à la traque du tueur s'éloigne quelque peu de l'esprit hitchcockien, nous rappelant que De Palma est de la génération des Spielberg, Dante et autres Lucas, mêlant humour potache de l'adolescence et emprunt aux slashers qui font rage depuis l'avènement du "Halloween" de John Carpenter (1978). Cette deuxième partie du film est tout aussi virtuose grâce à l'acuité visuelle de De Palma dont les effets parfois jugés tocs comme le split-screen ou l'utilisation d'une lentille bifocale pour juxtaposer deux plans distants montrent aujourd'hui toute leur pertinence et leur originalité pour donner à "Pulsions" toute sa force suggestive. Le duo formé par Keith Gordon et la pulpeuse Nancy Allen (femme de De Palma) est complètement opérationnel grâce à l'incongruité et l'ambiguïté de leur association (un geek de prime abord asexué et une prostituée). Michael Caine et Angie Dickinson qui s'immiscent pour la première fois dans l'univers "de palmien" sont bien sûrs parfaits et n'ont pas eu à regretter ces deux rôles marquants de leur filmographie. Ajoutez à tout cela la musique envoûtante de Pino Donaggio, fidèle compositeur de De Palma depuis "Carrie" et vous obtenez la preuve qu'un cinéma hautement référentiel peut trouver le chemin de l'originalité si le mélange est réalisé par un savant alchimiste.