Comme Django, premier et précédent film d'Etienne Comar, A l’ombre des filles parle de musique. Le metteur en scène confie : "Que ce soit dans le choix du tempo, les contrastes, les voix, les niveaux d’émotion ou d’intensité, l’ouverture ou la coda d’un film..."
"La retranscription d’une émotion à travers l’abstraction musicale, je l’associe aisément à l’écriture cinématographique. Jeune, j’ai suivi un enseignement musical classique. Et il y a quelques années, suite au décès de mon père, j’ai chanté dans un groupe de rock amateur."
"Écrire les paroles des chansons et ensuite les interpréter a été une découverte émotionnelle puissante, une expérience libératrice sur un plan intime et créatif. C’est à la suite de cela que je me suis mis à écrire des scénarios, puis à réaliser."
"D’où l’envie de faire un film qui montre à quel point le chant peut être une libération. Et quoi de mieux qu’une prison pour exprimer la métaphore de cette libération."
Etienne Comar tenait à filmer les cours de chant de manière quasi-documentaire. Le cinéaste s'est ainsi rappelé de L’Audition (2005) de Milos Forman, un documentaire sur des filles qui chantent tourné en 1,33, un format idéal pour filmer les visages en gros plan. Il précise :
"Pour mon film, cela permettait aussi d’exprimer plus facilement la sensation d’enfermement de ces filles. Je tenais aussi à filmer ces cours en pellicule argentique et non en numérique. Il n’y a pas mieux que l’argentique pour filmer la texture des peaux, pour capter les expressions des visages."
"Pour chaque cours de l’atelier, il a fallu trouver un dispositif de mise en scène différent qui retranscrivait l’état émotionnel de chaque personnage. Au début du film, nous sommes beaucoup en plans serrés sur les visages isolés des filles. Au fur et à mesure, elles gagnent en espace, en profondeur."
A plusieurs reprises, Etienne Comar s'est rendu en prison pour présenter aux détenus des films sur lesquels il a travaillé. Le réalisateur a été marqué par ces expériences qui lui ont donné l'idée d'À l’ombre des filles. Il se rappelle :
"Pour À l’ombre des filles j’ai fait la connaissance de Michaël Andrieu, un musicologue et professeur en conservatoire, qui a animé des ateliers de musique en prison. Je lui ai fait lire le scénario à différentes étapes. Son approche artistique, humaniste et sociale de la musique m’a permis de nourrir le réalisme de l’écriture de cette fiction, tout en lui donnant la portée métaphorique, symbolique que je souhaitais."
Pendant l’écriture du scénario, Etienne Comar s'est plusieurs fois rendu à la prison pour femmes de Bapaume dans le département du Pas-de-Calais, où avait été ouverte une chorale mixte. Elle était animée de manière très différente de l’atelier de Luc dans le film, mais elle a permis au cinéaste d’observer des typologies de détenues.
"Un concentré d’humanité à la fois marginal et minoritaire, mais qui devient vite central et universel. Ensuite, quand le scénario était bien avancé et mes personnages définis, Michaël Andrieu et moi avons eu l’autorisation du Ministère de la Justice de faire un atelier de chant à la prison de femmes de Fleury-Mérogis pendant plusieurs jours."
"On est venu avec un répertoire de chansons proche de celui du film et cette expérience m’a conforté dans la véracité de mes personnages et nourri le scénario d’expressions que j’ai entendues, de gestes que j’ai vus... Il s’agissait d’observer aussi ce qui se jouait entre les détenues autour et surtout « au-delà » de la musique", confie Etienne Comar.
Pour les actrices jouant le groupe de détenues, Etienne Comar a mélangé des professionnelles et des non-professionnelles. Il se souvient : "Il y a eu plusieurs sessions de casting sauvage. Nous avons vu plusieurs centaines de femmes. Tous ces visages, ces attitudes et ces corps ont été très inspirants et deux femmes sont restées de ces séances avec des non-professionnelles : Fatima Berriah qui joue Noor, et Anna Najder, qui joue Marzena."
En préparation, les actrices se sont entraînées au chant à la fois ensemble et séparément, afin d’enregistrer tous les morceaux en direct pendant le tournage. "L’absence de play-back était essentiel à mon sens pour capter de façon véridique ces chants qui prennent forme au fur et à mesure des séances de Luc. Je voulais absolument que cet apprentissage vocal se fasse sans filets avec une part de risque et d’imperfection inhérente à ce type d’atelier", précise Etienne Comar.
Etienne Comar voulait que les scènes de prison se déroulent de de jour et soient lumineuses, avec une prédominance de couleurs claires : "Elles cassent l’image habituellement glauque de la prison. En revanche, quand on est en extérieur avec Luc, c’est souvent la nuit, on se retrouve plongé dans sa pénombre avec des teintes plus denses."
"Je tenais à ce contraste des couleurs et d’ambiances. Et quand Luc revient chez sa mère, le vert de la nature jaillit en même temps que sa libération. J’ai travaillé avec le chef opérateur, Colin Lévêque. Même si cela n’avait rien à voir avec ce que je voulais pour mon film, j’avais beaucoup aimé son travail sur Les Particules de Blaise Harrison."