La Grande magie rend un très bel hommage au cinéma dans sa relation initiale avec le théâtre et l’esprit de troupe, le raccordant à sa nature première de spectacle illusionniste comme le sont les tours de passe-passe et les cracheurs de feu. La grande variété formelle, en témoigne l’ouverture sur un rideau rouge s’écartant au centre pour laisser voir un générique en noir et blanc, permet d’échapper au théâtre filmé et assure une liberté de ton et d’interprétation : chaque acteur apporte, avec le rôle qu’il interprète, un peu de lui-même, un brin de sa fantaisie personnelle ; et Noémie Lvovsky a l’intelligence de s’inclure parmi les personnages, à la fois devant et derrière la caméra, comme si elle refusait la position de spectatrice et de directrice pour, à l’instar de Molière, jouer avec les autres.
Surtout, le film surprend par la rencontre entre une légèreté tonale et physique d’une part, et une profonde noirceur d’autre part : son propos féministe s’avère légitime et semble naître des situations représentées – loin du surlignage démagogique de nombre de productions contemporaines – faisant de l’épouse un fantôme impuissant que seul un tour de magie pourra, un temps, affranchir de sa condition. L’intérêt scénaristique du long métrage réside alors dans le traitement du personnage du mari, très bien campé par Denis Podalydès : d’abord tortionnaire, barbon tout droit sorti d’une comédie classique, il trouve par boîte interposée une occasion d’apprendre de ses erreurs et d’éprouver un amour, l’amour véritable, que la présence physique de Marta ne parvenait pas à lui procurer clairement. Le registre fantastique sert alors d’espace de redécouverte de la femme devenue spectre, et de l’absence naît un retour au présent et à la vie.
Noémie Lvovsky formule une très belle définition du cinéma, art de l’illusion qui capture le vivant pour lui (ré)apprendre à vivre par l’intermédiaire de l’artifice, comme lorsque Charles, sous le patronage d’Albert, se surprend à voir et à entendre la mer, là devant lui, alors qu’elle n’est que chimère.