Le film est dédié à Jacob Hunt : ça donne donc envie de voir "Coby", le film sur lui (présenté au festival de Cannes de 2017) —une femme de l’Amérique profonde qui devient un homme. D’ailleurs, il semble que "Coby" soit centré sur un seul sujet, la transition (ce traitement de la dysphorie de genre). Alors que "A Good Man" multiplie plutôt les sujets. En effet, il s’agit de la transition d’une femme en homme (Benjamin), mais aussi de cette encore-femme qui fait un enfant ; on perd aussi un peu de temps avec des digressions (agression homophobe, accident de voiture) ; en revanche sa compagne est carrément éludée dans la dernière partie du film (même si son absence vient du scénario, on aurait pu prendre le temps de montrer comment elle vit pendant que son compagnon vit sa grossesse). La réalisatrice (Marie-Castille Mention-Schaar) pousse donc le bouchon un peu loin (homme trans et mère), s’éparpille un peu, oublie un coin du tableau —comme tous les films qu’elle a réalisés, elle en est aussi la scénariste et la productrice, et peut-être que trop de pouvoirs et pas assez de contradicteurs n’est pas si bon que ça dans le film.
Cela dit, son film reste une œuvre marquante (sans parler de l’image perturbante d’un homme barbu qui accouche). L’extrême solitude de l’intéressé, comme celle de chaque personne de son entourage (famille, amis, connaissances), où chacun dans son coin expérimente cette transition, illustre bien les difficultés d’un progrès sociétal (il faut bien reconnaître que la reconnaissance du genre en est un quand on est une civilisation avancée). "Il leur fallait apprendre à changer avec moi", disait ce Jacob Hunt au sujet de son entourage, dans un numéro de Quotidien en 2018. Dans le film, on montre bien la tristesse et le désarroi de ce long coming out, et de l’attente avant d’y arriver (par les flashbacks), les cachotteries, les mensonges qui n’en sont pas. Désarroi qui pousse tout le monde à dire n’importe quoi, y compris Benjamin quand il crie par exemple à son frère "je veux juste être comme toi, ni plus, ni moins" ou "je n’ai pas le choix" —Vincent Dedienne (le frère) joue bien le bourrin dans ce contexte (tout le monde est bourrin en fait, car la situation de ce trans enceint est totalement inconnue). Désarroi et tristesse de la solitude.
Mais le film "finit bien", selon la formule consacrée, et la longue et inattendue scène finale, lumineuse et sans paroles, de parents qui traversent un parc surpeuplé, un enfant sur les bras, est un petit chef d’œuvre en même temps qu’un grand signe d’espoir sociétal. L’amour a finalement le rôle central du film.
Pour information, ce film a été accusé de transface —pauvre monde ! La beauté troublante de Noémie Merlant en jeune homme barbu est un intérêt en soi, peut-être le premier intérêt du film. En revanche, Jonas Ben Ahmed (de "Plus belle la vie") joue un caissier de superette, mais sans déborder du rôle : du coup on se demande pourquoi avoir choisi un acteur trans —ça fait penser aux caméos de Stan Lee dans les films de Marvel !
A.G.