Après avoir intégré une école de commerce à Paris, Kamir Aïnouz travaille chez Bloomberg dans la finance internationale, à New York et à Londres. Mais sa passion pour le cinéma la rattrape et elle décide, à l’instar de son demi-frère, le réalisateur brésilien Karim Aïnouz, qui a d’abord travaillé dans l’architecture, de changer de voie. Elle suit, sur les conseils d’une des productrices de son demi-frère, une formation de réalisation à la USC School of Cinematic Arts. « J’ai compris que je voulais tourner mes propres histoires, à ma façon. Je me suis installée à Los Angeles et je me suis inscrite à l’UCLA, en écriture de scénario. Je suis repartie de zéro. Je suis devenue stagiaire pour la productrice de Spider-man, Laura Ziskin, et puis j’ai enchainé, chez Wam Films, fondée par Alain Chabat, et dont la filiale américaine était implantée à Los Angeles. »
Désireuse de raconter une histoire personnelle, la réalisatrice est partie de l’image d’une jeune fille, couchée sur un lit défait qui n’était pas le sien : « Dans cette vision, elle était à moitié dénudée et je sentais qu’elle avait souffert. Je savais que je me projetais là-dedans mais c’était déjà devenu une autre histoire. Je me suis dit qu’elle en était là car elle se débattait entre ses deux cultures. Son corps ne lui appartenait plus. Donc n’importe qui pouvait faire n’importe quoi de ce corps. »
Kamir Aïnouz déclare : « Ce qui m’intéresse n’est pas tant comment on lutte contre la domination, qui se superpose à l’histoire de la colonisation d’ailleurs, mais plutôt comment on lutte contre sa propre soumission. »
Cigare au miel parle d’« opposition à une éducation libérale mais coercitive dès qu’il s’agit de la sexualité d’une fille de la famille », un sujet autobiographique pour la réalisatrice qui a dû « accepter de souffrir et de faire souffrir autour de moi en faisant sauter des diktats archaïques ». Elle précise : « Cet aspect-là est autobiographique. Je n’ai pas envie de rentrer dans le détail de ce que j’ai vécu ou pas. Cela relève de la sphère privée. Je me suis bien sûr nourrie d’expériences personnelles pour fabriquer ce film mais c’est la transformation de ces expériences qui a du sens. »
Marquée par des films qui mettent en scène un personnage contre un système (Rosetta, Will Hunting, C.R.A.Z.Y.), la réalisatrice tenait à explorer au maximum le point de vue d’une jeune fille en quête du contrôle de son corps. « Cette prise de contrôle est la case zéro de l’affranchissement du système patriarcal. » Pour suivre son héroïne, elle a mis en place un dispositif de deux caméras. L’une, vivante, pour les gros plans et l’autre, posée, pour les plans d’ensemble.
Le film tire son titre d’une pâtisserie algérienne. La réalisatrice explique: « On sent bien que Selma a un rapport à la nourriture qui n’est pas toujours sain. On ouvre sur cette boulimie de cigares au miel. Ce plaisir de bouche est évidemment une compensation. Le rapport exagéré à la nourriture me paraît percutant dans des cultures où l’on essaie d’étouffer la sexualité ».
L’héroïne de Cigare au miel, Zoé Adjani, n’est autre que la nièce d’Isabelle Adjani. Kamir Aïnouz la décrit comme « une jeune fille brillante et sensible », qui « voyait dans le personnage de Selma des aspects et des sentiments que je n’avais moi-même pas relevés de la même façon ».