Davy Chou, cinéaste franco-cambodgien et réalisateur de « Diamond Island », présente cette fois-ci un long-métrage prenant, sur la vie de la jeune Freddie, dont la personnalité est aussi captivante que ses péripéties. Le réalisateur lui-même originaire de deux pays différents démontre en un seul personnage le destin de toute une génération éloignée de leurs vraies racines. Le mélange de culture française et coréenne proposé dans le film est d’autant plus mis en avant. Freddie est très attachée à la France, ce qu’elle répète souvent dans ses répliques, mais son inconscient la pousse à découvrir ses vraies origines coréennes quand elle découvre Hammond, une organisation lui permettant d’essayer de prendre contact avec ses parents biologiques.
Le premier à répondre à son appel est son père.
Les dialogues établis entre le père et la fille sont très simples, mais signifient beaucoup : un père qui cherchait à se rattraper, visiblement trop tard, et une fille pleine de remords et distante.
Je pense à cette scène de retrouvailles où Freddie reste très fermée malgré les efforts de son père pour s’intégrer à la famille et lui faire plaisir (il insiste pour lui offrir des chaussures, il lui montre de vieilles vidéos, il l’invite à passer quelques jours chez lui). Bref, il veut rattraper le temps perdu.
La froideur de sa fille se fait ressentir et nous rend très emphatique envers le personnage de son père, il fait de la peine.
Plus tard dans le film, Freddie repart de son séjour chez son père, passe un coup de téléphone à sa mère adoptive puis pose les chaussures que lui a offert son père au bord du chemin, et s’éloigne. C’est ici un plan très symbolique de l’enfant déchiré de ses racines et qui semble même les rejeter. De plus, elle ignore tous les messages/mails de son père, devenant très envahissant, mais peu à peu, on distingue une certaine tolérance et même des sourires de la part de Freddie, qui prouve qu’elle commence à aimer sa famille biologique.
Une temporalité particulière, un personnage singulier :
En effet, Park Ji-min porte l’entièreté du film sur ses épaules, et interprète Freddie à la perfection. En écoutant l’actrice s’exprimer sur le film, on peut remarquer que son caractère n’est pas si loin de son personnage, ce qui justifierait l’excellent choix de Davy Chou. Freddie est un personnage imprévisible, fonceur et dégage une aura très singulière qui diffère de bon nombre de personnages présentés sur le grand écran. Ce n’est pas tant par les plans sur son visage, mais davantage par sa gestuelle et sa manière de parler que l’on voit le travail qu’implique de jouer ce rôle. On tombe presque sous le charme de cette fougue et cette ambiguïté qui nous tiennent en haleine tout au long du film. L’actrice transmet à merveille la psychologie du personnage, tantôt touchante, tantôt détestable. Ses changements de personnalité et ses différents états-d’âmes sont très liés à la structure du film, divisé en plusieurs parties. Freddie marque les différentes périodes par son changement d’apparence constant qui va de pair avec ses fréquentations et sa personne. Ainsi Retour à Séoul en vient à nous déstabiliser par ses ruptures de ton, en mêlant l’émotion, la brutalité et une ambiance étrange.
D’abord la jeune fille fougueuse et avec malgré tout une certaine fragilité,
qui se retrouve à la même table que son père sans pouvoir communiquer à cause de la barrière de la langue et de la culture,
et traduit ainsi un basculement dans l’histoire, et un impact sur le personnage.
Quelques années plus tard,
on découvre une Freddie qui fait davantage femme, vêtue de vêtements noirs et « punk », un maquillage et une coiffure qui mettent en avant l’assurance qu’a gagné le personnage, qui s’est enfin adapté à sa vie en Corée et s’est créé beaucoup de contacts.
Les couleurs sont plus froides et plus « crues », moins avenantes que dans la première partie.
Freddie entretient différentes relations plus ou moins amoureuses, beaucoup d’amis.
Dans la troisième partie,
Freddie semble dans une relation stable, que ce soit avec son compagnon ou avec son père.
On retrouve peu à peu des couleurs chaudes et une jeune femme affirmée qui n’en garde pas moins sa spontanéité et son ambiguïté qui surprend toujours et qui fait qu’on ne s’ennuie jamais.
La dernière partie est de loin la plus touchante,
notamment sa première rencontre avec sa mère, dont la mise en scène est telle que nous ne voyons pas de suite le visage de celle-ci,
peut-être un autre élément symbolique des enfants déracinés dont les parents sont anonymes, inconnus. Les couleurs sont moins agressives que dans les autres parties, et cette transition se remarque aussi par l’absence des bruits forts de Séoul et des boîtes de nuit qu’elle avait l’habitude de fréquenter.
On peut en déduire un travail important sur l’esthétique des personnages et la manière dont ils sont filmés en fonction de leur comportement, et il en résulte une image très belle et de beaux plans. On remarque aussi un bel effort sur les décors, avec beaucoup de détails très travaillés.
Il est intéressant de s’attarder sur le montage (de Dounia Sichov) qui rend compte du travail de mise en scène formidable et de la vie des personnages de manière très réaliste, tout en gardant un parti pris esthétique.
En somme, un film sur la recherche de soi, de son identité, sur l’adoption et sur les enfants vivant loin de leur famille d’origine, représentés par une jeune femme à la personnalité aussi captivante que ses actions et ses péripéties.
On n’oublie pas de parler de la musique qui est souvent un élément central à notre perception des scènes. Ici elle a une place importante et est même un élément récurrent dans le film
(Freddie joue du piano, son père a créé une composition qui représente sa fille, et crée un moment très émouvant par la simplicité, voire le ridicule du morceau mais contient toute la culpabilité du père qui a fait les mauvais choix; tout ceci s’opposant aux musiques fortes et électroniques des boîtes de nuit et des bars - notamment une scène de danse remarquablement bien filmée où Freddie est dans sa bulle et semble se libérer de tous les remords qu’elle emmagasine - entraînant le spectateur dans une ambiance tantôt dynamique ou tantôt forte en émotions)
.
C’est un très bon film, peut-être pas au point d’être un chef-d’oeuvre, mais il mérite amplement ses nominations à Cannes et cela annonce de prochaines réalisations prometteuses de la part du réalisateur.