Alexis Langlois avait réalisé des courts plus ou moins réussis, avec un sens de l'auto-dérision, de la référence sexy et de l'ironie complice qui cadrait bien avec l'air du temps. Changement ici : on retrouve ces éléments mais pour du premier degré total, qui noue les larmes comme un mouchoir serré au fond de la gorge, du début à la fin. Une émotion énorme : qui, depuis si longtemps, avait filmé ce qu'est un vrai chagrin d'amour ? Sa gravité absolue, hors de proportion. Ici les lignes de fuite se dilatent, l'espace s'évapore pour laisser place à un monde chimérique qui dresse ses raisons que la raison ne connaît pas. Images dégradées en mode VHS ou DV, singeries de plateaux TV, surexpositions clipesques, rien n'y fait, rien n'empêche la simplicité profonde de l'histoire d'amour d'opérer - en partie grâce à des premières scènes plus low-fi, particulièrement réussies, où l'énamoration des deux héroïnes est filmée avec une ingénuïté frontale qui m'a renversé le coeur. Le reste n'est qu'un écrin à l'adolescence passée, aux temps lointains où l'on pouvait mourir d'amour. Alexis Langlois a 35 ans et filme ses héroïnes (via le youtubeur narrateur) comme depuis un passé tout juste passé. Le pire moment : celui où l'on n'a pas encore fait le deuil. Ça saigne et ça crie mais ce n'est pas de l'hystérie, c'est déjà l'écho d'une douleur qui s'en va. Alors on chante. On chante. On chante. Quel lyrisme ! Un chant d'adieu à la jeunesse, où les doudous générationnels ne sont là que comme les marqueurs du temps qui passe. Langlois réussit là où tous ses prédécesseurs queer fantasy se sont pris le mur. Par quel mystère ? L'inspiration cinéphile pointue (le défilé des shows successful vient d'Hollywood années 30-40), un soin du détail monomaniaque (chaque plan est rêvé, désiré, travaillé) et en même temps une capacité à être complètement ancré dans le réel, en particulier grâce aux actrices : elles ne jouent pas (toujours bien), elles SONT, elles imposent leurs façons et leurs corps dans la gueule de l'époque, avec l'ardeur féroce de la première fois. Car c'est une première fois, c'est une date. L'empreinte de l'époque, enfin gravée, à la hauteur de la si belle mission du cinéma, anthropologique et amoureuse.