Le duo formé par Joachim Trier et Eskil Vogt fait des merveilles et donne un nouvel élan et une nouvelle visibilité au cinéma norvégien, dernièrement avec le subtil Thriller fantastique ‘Les innocents’, aujourd’hui avec cette oeuvre générationnelle (dans le bon sens du terme) qui découpe en tranches la vie d’une trentenaire indécise, qui change d’horizon professionnel ou sentimental à chaque fois que la gagne la sensation de se faire enfermer dans quelque chose qui ne lui convient pas vraiment. Julie change de formation sur de vagues impulsions, termine vendeuse dans une librairie, noue une idylle avec un dessinateur de BD underground de quinze ans son aîné tout en flirtant avec un type moins cérébral croisé par hasard dans un mariage où elle avait tapé l'incruste. La division en (12) chapitres, ni vraiment temporels ni vraiment thématiques, confère une intéressante dynamique au film, encore rehaussée par un ton parfois très crû et des séquences qu’on se serait davantage attendu à voir dans une comédie de Judd Apatow que dans une romance dramatique scandinave qui se pique de refléter concrètement le quotidien et le ressenti de ceux qui sont nés dans les années 90. Son meilleur atout est d’ailleurs de ne jamais chercher à moraliser cette expérience de vie en direct ni de la faire rentrer à toute force dans une case. L’indécision et la liberté de Julie ne lui apportent peut-être pas le bonheur…mais son refus d’aller “au bout des choses” et de sacrifier aux étapes obligatoires de la vie de couple (mariage, enfants,...) ne lui coûtent pas plus que ça non plus. Julie n’est pas dans le jugement, elle ne prétend même pas savoir avec certitude ce dont elle a besoin ou envie : d’un individualisme apaisé et tranquille, elle se laisse porter, un peu à l’instinct, consciente qu’elle passe peut-être à côté de quelque chose mais pas décidée pour autant à se jeter aveuglément dans le bain et promène un regard plus étonné que envieux ou dédaigneux sur les paradoxes de ses semblables : ceux qui voulaient des enfants mais se sentent étouffés par eux, ceux qui disaient “jamais” et ont très vite trahi leur promesse, etc…Quelques pistes de réflexion suggérées par le scénario m’ont également interpellé : face à son compagnon qui semble savoir davantage ce qu’il veut que Julie, les personnages soupèsent la possibilité d’une incompréhension entre une génération de l’immatériel, habituée à l’abstraction des achats, des communications et des expériences, et une génération plus âgée, plus attachée à l’objet et à sa permanence. C’est de cette réaction universelle, faite de doute, de désir et de renoncement, face au chaos du monde, que Trier a tiré ce film sincère et très vivant, dans lequel on peut se retrouver assez aisément quand bien même bien l’âge de sa protagoniste s’éloigne de plus en plus, bien loin de la froideur qu’on associe souvent au cinéma venu du nord.