C’est à Oslo que tout a commencé, c’est à Oslo que tout continue. Joachim Trier, qu’on le connaisse assez pour sa sensibilité ou qu’on le découvre avec cette pépite automnale, nous livre la pleine puissance d’une comédie romantique, portée par les amours et les maladresses d’une femme libre. Mais ce ne sera pas apporté dans le même bouquet de conventions, où les étapes des héros s’avèrent souvent aussi prévisibles que redondant. Avec un peu de pertinence et une âme sulfureuse à l’écriture, nous arrivons à nous projeter dans ce quotidien ou ce segment de vie, qui propulse l’héroïne dans une quête de soi, une quête de sentiments.
Julie est prodigieuse et prometteuse dans tout ce qu’elle touche. Mais c’est au détour de cette ascension, convenue par le mode de vie qu’elle entretient, qu’elle change de carrière, comme elle changerait de partenaire amoureux. Sur le ton d’un humour sincère et finement écrit dans les dialogues, Renate Reinsve incarne magnifiquement toute la mélancolie qui s’empare du personnage. Le véritable pilier du récit, c’est bien elle, à l’aise dans ce registre tantôt exaltant, tantôt étouffant. Le temps devient alors un enjeu qui se décline sous diverses formes, pas uniquement pour elle, mais également pour son entourage, d’abord plus âgé et ensuite plus impulsif. De la même la manière, le récit oscille entre la passion de Julie et sa réflexion d’ordre existentielle. Le réalisateur norvégien choisit donc de l’assortir à deux hommes, dont le portrait reflète évidemment les limites de ses angoisses et les limites de ses émois.
Le chapitrage accentue alors les moments forts d’une Julie, qui gagne à se construire une conscience, avant même de penser à brosser son identité. Elle se réinvente à chacune de ses apparitions et revendique cette flamme qui lui échappe, qui l’effraie, mais qui la fascine. En se collant à elle, elle se brûle, mais ne sombre pas dans une fièvre malsaine, où les remords des héros traditionnels auraient joué la carte de la nostalgie miraculeuse. En ponctuant l’intrigue dans l’air du temps et en admettant un décalage entre sa raison et les gestes qu’on feint de réprimer, Julie erre dans un tunnel, qu’elle traverse avec comme seul guide son indépendance. Ce serait une erreur de lui laisser la solitude gagner un cœur plein de promesses et d’extases, tandis qu’Aksel (Anders Danielsen Lie) illustre son ego dans des planches et qu'Eivind (Herbert Nordrum) perd toute notion hallucinatoire. Ce sont des paramètres qui sont servis par une mise en scène audacieuse et éclairés par le ciel d’une ville, qui assiste aux méandres de la vie. L’un comme l’autre finit par explorer les failles de Julie.
De « Oslo, 31 août » à « Thelma », Trier a su élargir son éventail de nuances et « Julie (en 12 chapitres) » (Verdens verste menneske) en serait l’exemple le plus illustratif. Cela ne reste pas moins saisissant et parsemé d’une volonté de réinterpréter le bouleversement de soi, qui ne se substitue jamais aux étincelles d’espoirs, qui déchirent le cœur de Julie. On rit, on pleure, on fatigue, mais mon avance, parfois en courant, souvent en hésitant, mais une chose est sûre, c’est que le monde ne s’effondre pas autour d’elle, il ne fait que rester en suspension, jusqu’à ce qu’elle souffle un peu pour elle-même.