Après quelques années d’errance maintenant, en jonglant entre plusieurs producteurs, l’un des artificiers tricolores succombe à l’appel du géant du streaming au N rouge. Faute de moyens, faute de compromis, Jean-Pierre Jeunet assure sa bonne foi quant à son nouvel imaginaire, cette fois-ci teinté de pixels et autres outils technologiques. Il en a fait du chemin depuis son « Delicatessen », mais ce ne sera pas vers un jardin d’enfants qu’il oriente son propos, à l’aube d’une robotisation sociétal, tout ce qu’il y a de plus rationnel et pourtant pas aussi évident à développer. Le casting extravagant promettait un mélange hilarant et en même temps bancal, dès qu’il s’agira de court-circuiter un discours satirique, meublé d’un décor numérique aussi kitsch que ses personnages. C’est toute la problématique de cette nouvelle aventure, dont le titre annonce à son insu, le mal qui sévie dans chaque plan à venir…
Ce client de la nouvelle ère technologique, il a fini par l’épouser, jusqu’à en fait son sujet et son support idéal, en tout cas sur le papier. Hélas, ce monde désenchanté qu’il nous introduit, étale maladroitement et surtout grossièrement ce que l’héritage du numérique provoque chez ceux qui sont faits de chair. Pas de passe-droit pour celui qui ambitionne d’investir cette étude de l’addiction et la dépendance à la technologie, dès lorsqu’il façonne chaque argument dans un enrobage sucré et caricatural à l’excès. Ce huis-clos ludique de personnages, qui sont un pu à la découverte de leur premier émoi, car ils semblent bien avoir cédé à une part d’humanité, tandis que d’autres tentent de préserver la culture, que ce soit du premier support numérique que des ouvrages littéraires. L’intention est palpable, mais jamais il ne convertira ses chances de provoquer la sensation escomptée. Au lieu de cela, c’est une opération ultra prévisible et contradictoire, dont la pertinence s’effrite aussi vite que son atroce tempo comique.
Il est navrant de constater que Jeunet trébuche face à autant de désillusions, jusqu’à affubler son récit minimaliste d’un humour aussi gras, et assez peu inventif, que la mentalité des occupants de cette maison de banlieue. Il faudra se réconforter avec l’esthétique de certaines figures, par mi les têtes pensantes de ce logement high-tech (Monique et Einstein), mais la place des machines conscientes auprès des humains alimente rarement les interactions avec empathie, la dynamique absurde de groupe ayant déjà pris le dessus. Ce qui aurait pu ne pas tourner au gag de répétition, sans la niaiserie qui en résulte à la force d’un cinéaste qui prend alors plus de distance avec sa vision futuriste vintage, n’est en fait qu’une pure illustration d’une humanité, soumis comme des animaux, pour le divertissement de machines qui en aurait gros sur la patate. Ce qui relève de « l’erreur est humaine » semble se propager au-delà de cette tambouille numérique et, a fortiori, caustique, où les pulsions et les émotions ne sont plus que des citations.
En somme, « Bigbug » patine et glisse sur ses propres bases narratives et sa recherche de sublimation vient davantage entacher le décor qu’il a mis en place. En quelques minutes, nous sommes bien passés de la curiosité à de l’effroi, jusqu’à ce que notre intérêt vienne se joindre au microcosme, imposé par la défaillance technique, pour l’écarteler un peu plus. Et ce coup d’avance considérable du spectateur, qui sera déjà bien refroidi, avant même que le scénario ne se mette au diapason, témoigne d’un détachement de la part d’un cinéaste, qui a choisi de régresser au lieu de tirer sa troupe vers le haut et vers un sentiment d’espoir ou de désespoir assumé. Il y aura donc peu de chose à retenir de cet épisode de confinement sous vide. Espérons seulement qu’il marquera un tremplin nécessaire pour celui qui a souvent bien interprété l’équilibre entre le fantasme du réel et la nostalgie.