"Il n'y a rien de surnaturel. C'est l'Amérique. Et c'est partout."
"Master" croise les routes de deux femmes afro-américaines faisant leurs entrées dans les rouages à dominante blanche d'une prestigieuse université bien installée dans le paysage des États-Unis. Pendant que Jasmine, une élève très douée, y effectue sa rentrée en découvrant que sa chambre a été le théâtre d'une étrange malédiction, Gail est enfin admise au rang de "master" (superviseur en gros) de la faculté et, au sein d'un collège de membres éminents des lieux, doit décider de la titularisation d'une professeure et amie également afro-américaine...
S'inscrivant pleinement dans la mouvance contemporaine de la "black horror", où les frissons du surnaturel sont des prétextes à révéler la véritable horreur du racisme, ce premier film de Mariama Diallo a eu le mérite de déboussoler nos sens critiques en nous laissant sur une série d'impressions paradoxales.
Ainsi, on a beau avoir trouvé l'ensemble de la proposition un peu trop long, l'ambiance a pourtant souvent réussi à nous happer en créant d'entrée un malaise permanent autour du racisme insidieux subi par ses deux héroïnes. Pour se faire, le film s'appuie sur les sous-entendus perfides et/ou involontaires de leurs entourages respectifs, que l'on imagine sans mal comme le fruit d'une transmission sociale viciée, et sur la résilience dont font preuve ses victimes face à elles au quotidien, allant même jusqu'à nous faire ressentir au plus près la lecture glaçante de leurs points de vue sur des scènes anodines de la vie étudiante (lorsque des élèves blancs se transforment en meute encerclant Jasmine pour entonner un banal morceau de hip-hop à base de "nigga", on nous fait vivre toute l'oppression de ce terrible moment à travers son regard). Fondue plus ou moins adroitement à la couverture de l'habituelle ritournelle de malédiction de campus, au trouble des phases de sommeil plus que mouvementées de Jasmine et aux découvertes dérangeantes de Gail, cette atmosphère de malaise, qui paraît à juste titre enracinée jusqu'aux fondations de cette faculté, s'en retrouve renforcée et ne quitte jamais "Master", c'est sans doute là une de ses qualités les plus évidentes.
D'ailleurs, autre point fort, plutôt que de se résumer à une simple dénonciation du racisme en bonne et due forme, le film prend le temps de s'intéresser à l'aspect tentaculaire de ce mal, en partant de cette façon dont il peut surgir au détour d'un échange on ne peut plus ordinaire pour ensuite s'élargir à la manière inamovible dont il s'ancre dans l'inconscient individuel (l'apparition à l'hôpital en est la parfaite représentation) ou collectif sur la durée (l'historique très blanc de cette vieille université), aux cicatrices passées sous silence qu'il laisse (et bien pire), aux bonnes intentions détournées de leur but initial afin de faussement s'inscrire dans l'évolution moderne de la société (l'idée d'un plan véhiculant l'imagerie de tout un pan du passé raciste US et qui laisse ensuite place à une publicité aseptisée prônant la diversité au sein de la fac est redoutable) ou à l'intrusion de "faux-prophètes" qui détournent son combat à des fins malhonnêtes (l'incarnation que choisit le film dans le but de symboliser ce genre d'agissements est particulièrement bien pensée et offre tardivement, en insistant sur certains détails, une autre lecture bien plus sombre de certains événements). Enfin, "Master" a le mérite d'aller jusqu'au bout de sa vision très pessimiste en malmenant considérablement ses héroïnes jusqu'à son terme pour leur faire réaliser l'impossibilité d'exister pour ce qu'elles sont réellement à l'intérieur d'un système qui se contente de laisser perpétuer un racisme sournois sous les apparences rassurantes d'une bien-pensance affichée ostensiblement.
On ne peut donc que saluer le large éventail de pistes que le film se permet d'aborder et d'assembler par son traitement ambitieux du racisme mais il faut bien reconnaître que "Master", trop brouillon, semble aussi se perdre lui-même devant l'étendue de ses intentions. Même si, comme on l'a dit, son montage engendre quelques fois des liaisons de scènes heureuses, il paraît le plus souvent un brin -excusez-nous du terme- bordélique, comme si beaucoup de choses avaient été abandonnées en cours de route au profit de quelques séquences d'épouvante inévitables, faciles, insérées parfois n'importe comment, bref qui sont loin d'être le gros point fort de "Master" malgré une exécution somme toute correcte. Et, forcément, cette multiplication d'effets du genre plus attendus, pourtant aussi partie prenante de son ambiance, parasite le reste des développements bien plus passionnants du film, son rythme et notre intérêt sur ce qu'il a proposé sur sa durée.
On pourrait ranger "Master" dans la catégorie de ces premiers films prometteurs, pétris de belles ambitions pour explorer la richesse de ramifications offerte par une thématique délicate et n'hésitant pas, grâce à une liberté de ton plus franche, à aborder les constats les plus désolants que cette dernière peut engendrer, mais les imperfections du long-métrage de Mariama Diallo restent hélas trop nombreuses, ne le rendant pas assez abouti pour qu'on puisse le célébrer en tant que grande réussite. Le potentiel est néanmoins bien là et, si, à l'avenir, la réalisatrice parvient à gommer cet aspect brouillon tout en conservant cette approche d'un champ de réflexion aussi étoffée qu'intrigante, il est fort possible qu'elle marque bien plus fort les esprits.
2.5/5 (et encouragements disons)