Tout au long de la campagne présidentielle de 2017, les deux documentaristes Théry et Chaillou ont suivi Bastien, un militant FN d’une vingtaine d’année, avec la bénédiction de la direction du parti, trop heureux qu’un documentaire n’annonce pas dans sa note d’intention sa volonté de tirer sur eux à boulets rouges. Le procédé employé pour rendre compte de ce travail est assez particulier puisque le jeune homme lit le “script” qu’ils ont tiré de leurs entretiens, ce dernier étant illustré en direct par les bandes-vidéos tournées tout au long du projet, et commenté par l’intéressé lorsqu’un élément fait débat. L’ensemble repose donc beaucoup sur la voix off, ce qui est toujours un peu regrettable et renforce l’impression d’une mise en scène qui, pourtant, n’a pas lieu d’être ici. On ne note pas d’intention particulière de dévoiler le corpus idéologique rance du Parti, à travers un portrait qui finirait inévitablement par exposer le visage hideux de ses militants : Bastien est un garçon aimable, posé, sympathique. Il n’est pas un de ces cadres du parti qui ont appris à offrir un visage avenant aux médias, juste un jeune très ordinaire du Nord de la France qui, bien qu’issu d’un milieu relativement aisé, a eu un parcours de vie chaotique sur lequel il reviendra souvent tout au long des entretiens. Il ne tient pas de propos extrémistes, ne théorise guère son engagement, et le spectateur aura toute latitude pour décrypter, entre les lignes, les motivations qui ont pu le pousser à rejoindre ce parti plutôt qu’un autre. On pourrait presque dire que le documentaire est consacré à Bastien, jeune ordinaire qui vote FN et pas à Bastien, électeur FN d’une vingtaine d’années. Certains crieront sans doute à l’entreprise de dédiabolisation mais dédiaboliser (ou diaboliser d’ailleurs) le FN aujourd’hui, c’est avoir deux guerres de retard sur la réalité, et refuser de prendre acte du fait qu’entre deux partis traditionnels moribonds et un vainqueur sorti du néant et dont on ne sait pas encore s’il va y retourner, il est sans doute la formation la plus pérenne du paysage politique français. Néanmoins, qu’est ce qui peut pousser deux réalisateurs à étudier avec une neutralité assumée une engagement militant qui n’est sans doute pas le leur ? Comprendre, tout simplement. Ne pas chercher la caricature, qui attire les rieurs sans étiquette mais personne d’autre, ou l’angle d’attaque optimal, qui n’a apparemment convaincu personne ces trente dernières années de changer d’obédience dans le sens souhaité. Plutôt laisser le spectateur se faire sa propre idée sur la manière dont le parti le plus haï de France est devenu l’impulsion politique première de citoyens ordinaires, en rien différents de ceux qu’on côtoie tous les jours.