Rarement un film ne m'a inspiré un sentiment aussi ambivalent, rarement un film ne m'a donné autant envie de peser le pour et le contre.
Comme je suis d'un naturel bienveillant, je vais commencer par le "pour".
Le "pour", c'est déjà le récit d'une époque. La petite histoire qui raconte la grande histoire. Celle d'un jeune homme d'une vingtaine d'années, militant du Rassemblement national. Avec lui, on va suivre la campagne présidentielle de 2017. On va vivre ses espoirs, ses émotions, son élan militant. On va comprendre ce qui le relie à ce parti politique. On y découvre son portrait, celle d'un jeune homme blanc, déclassé, en quête de revanche contre la société, de rédemption. On découvre aussi les arcanes de son parti, la stratégie de dédiabolisation à l'oeuvre, au quotidien. On comprend aussi ce que cette stratégie a d'attrayant pour ceux qui soutiennent le parti de l'ordre et de l'autorité. C'est le rassemblement national à visage humain.
Il y a des scènes jubilatoires, qui racontent les coulisses de l'élection, notamment cette stratégie politique mise en place auprès des salariés de Whirlpool. Episode qui aura marqué la présidentielle de 2017. Autre temps fort, la relation que Bastien entretient avec son mentor en politique, le jeune, très jeune et très ambitieux, très cynique, très méfiant Eric Richermoz
. Enfin, le procédé de placer le protagoniste face à sa propre histoire, face à la caméra, est une trouvaille assez géniale. Il permet une mise en abyme passionnante. Avec ce fil rouge, ce fil conducteur, on guette ses réactions, ses doutes.
C'est aussi le moment choisi par Bastien pour révéler son secret, son passé trouble, dans un moment rempli d'émotions, l'une des séquences les plus fortes du film.
Mais voilà, ce film a aussi sa part d'ombre. Il est particulièrement gênant et suscite le malaise. Tout simplement parce que la narration littéraire est omniprésente. Une narration bourgeoise, assumée, écrit sur le modèle du roman réaliste du XIXème siècle. Une narration élitiste qui claque comme un fouet face au jeune en échec, qui peine à s'élever dans la société. La volonté délibérée des narrateurs de se faire omniscient en font des donneurs de leçon. Et cette voix qui murmure, en filigrane, "mon pauvre gars, toi qui en veux à la bien-pensance, toi qui en veux à l'école, toi qui es en lutte sociale contre ceux qui t'ont humilié, jamais tu ne seras à notre niveau. La preuve, on parle à ta place. On sait tout de toi. On comprend tout de toi.". Ce film est très violent socialement, de par ce procédé narratif, mais aussi par ce que l'on ressent chez ce jeune individu, et qui n'avait pas besoin d'être accentué : un jeune homme gentil, mais facilement manipulable, comme le laisse deviner sa relation avec son mentor en politique. Pourquoi les réalisateurs sont si visibles? Pourquoi en font-ils des caisses? Pourquoi voit-on ce demi-visage parler dans un micro? Pourquoi prennent-ils ce ton si doctes pour parler du passer trouble du Rassemblement national?
Enfin, bien que le personnage soit passionnant, il convient un peu trop bien à la situation. Il est le profil type du petit blanc à qui la vie n'a pas souri. Et on commence à trop connaitre ce personnage. S'il n'y avait que des boucs-émissaires au RN, ça se saurait. Il ne récolterait pas 30 d des voix. Ce personnage, c'est presque la solution de facilité. Celui qui a un passé trouble, un secret, des antécédents violents. Un petit malheureux en quête de revanche sur la vie. En faire une généralité, c'est peut-être aussi ça, dédiaboliser le RN.