En mettant de côté leurs adaptations, je suis vraiment fan des films des Podalydès, Denis devant la caméra, Bruno devant et derrière, et le pitch des “Deux Alfred” repose sur une de ces idées décalées dont ils ont le secret. Déjà, ces deux Alfred, ce sont simplement les noms de deux doudous, et ils ne tiennent qu’un rôle de running-gag mineur dans un film plus social qu’il n’y paraît. Alexandre, la cinquantaine inadaptée, veut montrer qu’il est un homme qui parvient à conjuguer carrière et famille, démonstration destinée à son épouse Albane, sous-marinière, pour qu’elle revienne. Miraculeusement, son côté terrien et ancré dans son quartier lui permet de dégoter un boulot dans une start-up spécialisée en reacting-process (vous ne savez pas ce que c’est ? Lui non plus). Le seul problème, c’est le mot d’ordre de cette boîte archi-compétitive qui infantilise ses employés aussi efficacement qu’un Google moyen : “No child”. Pas de bol, coincé entre Arcimboldo, “auto-entrepreneur” précarisé et philosophe qui squatte chez lui et Séverine, sa boss rigide et implacable, Alexandre en a justement deux qui réclament toute son attention. Du point de vue de la satire, le film réussit un sans-faute : moquant la culture d’entreprise des start-up, leur franglais abâtardi et incompréhensible aux non-initiés, leurs rites socio-culturels absurdes et la société überisée qui constitue un terreau idéal pour une entreprise productrice de vide, le scénario grossit évidemment le trait pour les besoins de la caricature...mais au fond, pas tant que ça. Comme dans la majorité des comédies grinçantes qui dénoncent les dérives de la société moderne, “l’inhumain” ne peut pas gagner, enfin pas totalement, mais le plus beau, c’est que les Podalydès ont une manière bien à eux de le démontrer. Il ne s’agit pas de retourner les armes de la modernité économique contre elle-même comme le faisait un Ken Loach (quand il y croyait encore) ou de la soumettre à un traitement par l’absurde pour réveiller la solidarité, comme chez Delépine et Kervern : Enfin, si, un peu quand même…mais chez les Podalydès, on ressent un état d’esprit différent, moins féroce, plus empreint de poésie et de folie douce, comme une forme de lâcher-prise et de refus paresseux de la confrontation avec le système, qu’il vaut mieux contourner en attendant que sa propre folie le pousse à s’auto-détruire de l’intérieur.