Les 2 Alfred
Jouissif et insolent
Bruno Podalydès est une sorte de génie. Il possède cette faculté rare de nous faire rire en traîtant de sujets de société avec une grâce et une poésie subtile qui n’appartiennent qu’à lui. Sa nouvelle comédie tire à vue sur l’hyper-connectivité de notre monde et c’est un régal. Alexandre, chômeur déclassé, a deux mois pour prouver à sa femme qu'il peut s'occuper de ses deux jeunes enfants et être autonome financièrement. Problème: The Box, la start-up très friendly qui veut l'embaucher à l'essai a pour dogme : « Pas d'enfant ! », et Séverine, sa future supérieure, est une « tueuse » au caractère éruptif. Pour obtenir ce poste, Alexandre doit donc mentir... La rencontre avec Arcimboldo, « entrepreneur de lui-même » et roi des petits boulots sur applis, aidera-t-elle cet homme vaillant et déboussolé à surmonter tous ces défis? 92 minutes qu’on n’a pas le temps de voir passer tant le film est inventif, léger et drôle. Le grand Tati n’est pas loin… et ce n’est pas le moindre des compliments.
Depuis sa trilogie versaillaise et son épatant Liberté Oléron, notre réalisateur-scénariste-acteur, ne cesse de progresser, même si son, Comme un avion, de 2014, relevait déjà du chef-d’œuvre, on tutoie encore une fois les sommets dans l’observation de la société du XXIème siècle poussée jusqu’à l’absurde. Tel décor style Bisounours de la start-up avec sa table de ping-pong, sa fontaines de bonbons, ses chaises longues et son trampoline… des espaces régressifs, très infantilisants qui correspondent à des buts de management très pensés qui peuvent remplacer le paternalisme d’autrefois. Mais, a contrario, le personnel se confronte en permanence, dans un sabir franglais à la limite du supportable de conf-call en débriefing en passant par les désormais inévitables visioconférences menées par un weboot… Et je ne vous parle pas de la voiture autonome et des drones, au centre de l’histoire et qui tombent comme à Gravelotte d’un bout à l’autre du film. Quant à l’inauguration des Games of Drones… c’est un must. Ça fourmille d’idées visuelles, scénaristiques et de dialogues. Tout est ici dans les détails et, je le répète, c’est un régal pour qui aime le cinéma foldingue et passablement décalé.
Quand au casting, il s’en donne à cœur joie avec un Denis Podalydès des grands soirs, une Sandrine Kiberlain qui s’amuse comme une petite folle, Bruno Podalydès, himself, qui ne laisse pas sa part aux chats. Tous les autres de Yann Frisch à Michel Vuillermoz, en passant par Isabelle Candelier, Jean-Noël Brouté, Philippe Uchan, donnent des répliques irrésistibles, sans oublier Vanessa Paradis, en guest-star aussi muette que discrète. La comédie ne perd pour autant jamais de sa lucidité et de son insolence, avec son savant dosage de dénonciation inquiète et de poésie apaisante. Une séance qui devrait être remboursée par la Sécu.