Choisir, c'est renoncer.
J'ai attendu deux mois, lu soigneusement les 2 artbooks, visionné 2 fois Dune : partie 2 en salle et enfin, revu 1 fois Dune : partie 1 avant de commenter cette sortie.
Dune : partie 2 était pour moi l'occasion de faire le bilan de l'adaptation complète du livre original par Denis Villeneuve, tant j'avais estimé que l'une ne pouvait aller sans l'autre.
Je commencerai par dire que j'aime tout particulièrement le cinéma de Denis Villeneuve. Chacune de ses réalisations m'a procuré d'intenses réflexions et émotions : Polytechnique, Incendies, Prisoners, Enemy, Sicario, Premier Contact, Blade Runner 2049. Que ce soient ses premiers films québécois, ou ceux réalisés après son arrivée sur des productions américaines puis son incursion dans le cinéma de SF.
Ceci étant dit, je ne suis pas du genre à verser dans un fanatique aveugle, comme ça, on reste dans la thématique =D. C'est bien la qualité renouvelée d'un artiste qui me fait l'apprécier et non l'image émotive que je projette sur lui (contrairement, me semble-t-il, à certaines personnes lors de chaque sortie événement d'un grand réalisateur.). De plus, ayant eu vent de l'admiration passionnelle que porte Villeneuve à Dune, depuis ses 12 ans, le pari de s'y plonger, de réaliser ses fantasmes et images intérieures pouvait se risquer périlleux. D'autres y sont tombés avant lui.
Mon arrivée dans l'univers de Dune s'est faite en profondeur, et ce, dès l'annonce du projet par Legendary Pictures. Pendant 2 années, j'ai pu moi aussi entrer en phase de préproduction. Je connaissais l'histoire de loin. J'avais connaissance des amorces nées des cendres de la version de Jodorowski qui ont nourri un nombre d'œuvres si immense après son abandon (Alien, Blade Runner, Predator parmi d'autres). Aussi, j'y avais toujours imaginé une forme de poésie et de supplément d'âme à la Lawrence D'Arabie. Je me suis donc d'abord plongé dans la lecture du livre 1 sous-forme de Roman Graphique sorti chez Huggin Munnin, puis des tomes annexes sur les grandes maisons avant de finalement lire le premier livre originel.
Puis vint le moment tant attendu du visionnage en salle du nouveau film de Denis Villeneuve, Dune : Partie 1. Une élégance, un rythme, une esthétique, un contre-pied assez total avec la production de divertissement hollywoodienne depuis ces 20 dernières années. Mais aussi un arrière-goût de pas assez et de doute : L'exposition étant faite, étape cruciale pour présenter ce grand classique, alors plutôt connu des spécialistes de hard SF, à une toute nouvelle génération.
Les risques étaient grands. Villeneuve sortait tout juste de son premier "non-succès" commercialement parlant avec Blade Runner 2049, qui réalisait pourtant le tour de force de consolider et de corriger certains aspects du premier film de Ridley Scott sorti 30 ans plus tôt. Monument intouchable, adulé ou détesté, il reste en dépit de tout jugement un modèle et une base solide dans l'imaginaire collectif de monde dystopique porté à l'écran avec une direction artistique singulière et un rythme qui l'était tout autant.
Il fallait aussi s'affranchir et faire fi du passage entre temps du mastodonte Star Wars, que j'ai vu sur le tard durant ma 20 aine, n'ayant jamais été friand de Fantasy, c'était une saga que j'avais volontairement choisi de mettre de côté toute ma jeunesse, pour l'aborder en temps voulu. Force est de constater aujourd'hui, avec quelle malice, mais aussi, vigueur Lucas s'est inspiré de l'oeuvre d'Herbert aussi bien dans les thématiques (imperium intergalactique), que les champs lexicaux (Anakin/Arakeen), les lieux (planètes désertiques), certains éléments du bestiaire (Sarlacc/ver des sables), des relations familiales (Je suis ton père/Grand-père), ou encore l'intrigue amoureuse déchue (Anakin-Padmé/Paul/Chani) et bien d'autres éléments liés à l'imagerie fascisante dépeinte par l'auteur de Dune...
Repartir sur une telle entreprise était un pari risqué qui aurait pu venir à bout de la carrière hollywoodienne de Villeneuve en cas d'échec. La partie 1 bien que bien loin du succès des sorties Marvel, avait rassuré les studios, mais surtout, malgré un score honorable au box-office, a réussi à attirer la foule entre la sortie du 1 (attendu des fans ou intéressés du cinéaste) et la sortie du 2, grâce notamment à une stratégie marketing et une promotion internationale bien rodée, avec en première ligne ses jeunes stars montantes Thimotée Chalamet et Zendaya (notamment auprès des nouvelles générations).
La stratégie marche, les spectateurs se déplacent en masse, et jamais je ne m'attendais à ce qu'on parle autant de Dune : Partie 2 dans les médias quotidiens. L'attente était forte, mais restait la seule chose qui comptait réellement : Villeneuve allait-il réussir à transformer son essai avec la partie 2, totalement indissociable de la première partie ?
Il m'aura donc fallu 2 visionnages sur grand écran de la seconde partie et le re-visionnage de la première partie (considérablement réévaluée à mes yeux, tant l'entièreté des éléments étaient savamment pensés et semés) pour en venir à cette conclusion : encore plus que pour Dune 1, Denis Villeneuve réussit le tour de force d'implanter tout son cinéma dans une histoire aussi dense que celle de l'univers de Frank Herbert.
Là où le premier, tenait à la fois à respecter et à honorer les bases de l'univers tout en s'assurant d'introduire convenablement les personnages, les lieux, les enjeux, le vocabulaire visuel et parlé afin de ne pas fermer les portes de ce monument de la hard SF à un nouveau public, Dune : Partie 2 nous embarque là ou Dune : partie 1 nous avait laissé et trace de façon plus assumée sa propre voie.
La machine tragique est complète :
les familles et les maisons se disloquent, les lueurs d'espoir portées par un amour naissant son absorbées, les manipulations font loi dans l'imperium et le sentiment de fatalité est implacable : ce qui doit se produire se produira, avec ou sans consentement, avec ou sans riposte.
Contrairement à ce que certains pouvaient attendre, pas de traces de Fantasy ici. Je me suis donc délecté du réalisme et de l'élégance apportés par Villeneuve, qui ancre ce monde pourtant si différent dans de multiples strates qui lui confèrent une lumière, des sons, des textures qui semblent si familières malgré leur totale étrangeté.
Les effets-spéciaux sont totalement au service de l'histoire, et ont été réalisés avec une fascinante minutie ! Fruit d'une véritable collaboration de longue haleine entre les effets pratiques et VFX pensées dès la préproduction, jusqu'au choix de créer des panneaux couleur sable au lieu des traditionnels panneaux verts afin de garantir une expansion visuelle imperceptible.
Greig Fraser n'a quant à lui plus rien à prouver dans sa science du cadrage et du gigantisme. Il était le choix évident au regard de l'échelle astronomique de Dune. Le côté R&D avec cette scène en infra-rouge est une véritable cerise sur le gâteau.
Les costumes sont également incroyables et reflètent à la fois tout le caractère pratique dont ils ont la vocation première, mais aussi la hiérarchie qu'ils symbolisent dès le premier coup d'oeil.
Les maquillages ne sont pas en reste, tant ils offrent des textures qui impactent durablement la perception de certains personnages, Harkonnen en têtes, avec ce génialissime Baron ou encore le chien fou qu'est Feyd Rautha.
Mention spéciale, évidemment, aux vers des sables, grisants de réalisme, de force et d'ampleur. C'est en partie pour m'assurer de revoir sur grand écran la scène où ils jaillissent de la tempête de sable lors de l'attaque finale que je suis retourné une seconde fois en salle pour ce deuxième volet.
La musique quant à elle, prend enfin son envol et s'écarte des redondances (parfois empruntes de grâce) de Zimmer. Alors que les dernières compositions de Zimmer étaient de plus en plus auto-citantes, (c'est encore une fois le cas ici), où on retrouve des arabesques directement venues de Gladiator, une électrisation des sonorités sortie de Mission Impossible 2 ou encore d'Inception : D'ailleurs, ces ajouts résolument rocks et ambiants, sont terriblement bienvenus et tissent un lien avec les précédentes tentatives d'adaptation. Ils ajoutent de la force aux orchestrations brutalistes d'une part et laissent plus d'espace et de souffle aux moments plus éthérés. Pour trouver un point d'équilibre quasi parfait à mes oreilles avec la sublime "Lisan al Gaib". En dépit de tout ça, j'avoue intimement regretter la mort de Jóhann Jóhannsson. Sa singularité musicale aurait sûrement offert des étrangetés encore plus radicales à l'image de son travail remarquable sur Premier Contact.
Comme évoqué en préambule, "Choisir, c'est renoncer". Des choses sont abordées rapidement, d'autres sont passées à la trappe, mais au final, tout a été fait pour à la fois assurer la vision de Villeneuve, mais aussi l'interprétabilité de cette histoire qui, disons-le clairement est très écrite et littéraire à ce médium d'abord visuel qu'est le Cinéma. De plus, les modifications apportées par Villeneuve sont totalement judicieuses et adaptées à mon goût. Il est important pour quiconque étant plus soucieux du matériau d'origine que du soin porté à son adaptation par la vision d'un auteur de se rappeler que personne ne parle jamais d'une version ultime. Il s'agit ici de l'adaptation de Denis Villeneuve, c'est donc son regard et son interprétation.
Finalement, la frilosité ambiante des studios a su laisser un auteur aller au bout de sa vision sur un univers aussi global et adulte.
Dune parties 1 et 2, n'est peut-être pas un dytique parfait comme certains le soulignent, s'en enorgueillait-il ?, mais il témoigne de l'amour, du soin, et du respect envers le spectateur dont fait preuve Denis Villeneuve. Il nous offre un spectacle si total et généreux, j'ai trouvé que la plupart des critiques négatives (et j'en ai lu, écouté/regardé beaucoup.) faisaient preuve d'avantage d'un désir d'aller à contre-courant plutôt qu'animés d'un réel propos.
Ne réduire ouvertement Villeneuve qu'à un rôle de poseur, faiseur de belles images vides et l'accuser délaisser l'émotion et ses personnages tout en étant incapable de filmer les scènes d'action, relève pour moi soit d'une méconnaissance totale du sujet d'étude ou bien d'un manque de discernement assez déconcertant. On adhère ou non au propos et au style, mais refuser d'y voir ses qualités retourne d'un côté enfants gâtés et non-reconnaissants de la générosité et de l'implication demandée par le film et son metteur en scène.
Villeneuve impose avec vigueur sa patte formelle et thématique. Il nous donne à vivre des moments de cinéma comme on en mérite et non pas ceux que nous désirons. Chaque proposition sait aller au-delà de toute attente et nous pousse à chercher plus, à nous abandonner à des idées à la fois brutales, inspirantes et novatrices.
Ce qui vaut pour moi la note quasi-maximale, car en sortant de la salle, je savais que je venais de vivre un moment de cinéma rare et puissant qui dépasse les simples qualités filmiques intrinsèques, signature des grande oeuvres plus que des grands films. Il ne reste plus qu'à attendre le troisième et dernier volet pour sceller l'analyse d'une trilogie, espérons-le quasi parfaite.
La suite de la carrière de ce monsieur s'engage comme des plus passionnantes aussi bien pour ces superproductions qu'il a réussi à apprivoiser tel Muad'Dib, qu'un retour aux productions plus resserrées du début de sa carrière.