On n’a jamais fini de découvrir et d’apprendre des choses sur la Seconde Guerre Mondiale. Au fur et à mesure du temps qui passe, et de la dé-classification des archives, on lève le voile sur tel ou tel épisode mal connu du conflit. Le réalisateur John Madden nous offre ici un film de plus de deux heures sur une opération jusqu’ici fort mal connue, l’opération ironiquement nommé « Chair à pâté » (le célèbre humour britannique). Son film est hyper académique, de la musique jusqu’à l’affiche, du titre jusque dans la voix off, des panneaux de début aux panneaux de fin, le film de Madden ne sort jamais sorti des sentiers battus. Tout est propre, bien monté, bien rythmé, on ne s’ennuie pas (trop), on apprend des choses mais c’est quand même très plan-plan comme travail. Evidemment, créer du faux suspens avec un fait historique relève de l’impossible. Si on connait un peu l’Histoire, on n’a pas besoin qu’un panneau à la fin nous précise que « Le Débarquement en Sicile a été une réussite », merci, on était un peu au courant… Donc le pseudo suspens de fin tombe évidemment à plat, il fallait s’y attendre. Mais on peut mettre au crédit du film que la reconstitution de l’époque est soignée, que l’ambiance londonienne de 1943 est également assez bien vue (paranoïa ambiante, peur d’une cinquième colonne, peur de l’espionnage nazi et déjà obsession de l’espionnage soviétique). On peut mettre à son crédit également un casting qui fait très bien le job. Emmené par Colin Firth et Matthew Macfadyen, mais aussi deux rôles féminins assez mis en valeurs tenus par Penelope Wilton et Kelly Mac Donald. Colin Firth apporte à son rôle le côté lord anglais pince sans rire qu’il maîtrise si bien. Matthew Macfadyen, quant à lui, est plus connu pour ses rôles de série TV. Il incarne ici un officier consciencieux et décidé (comme dans « MI-5) mais maladroit et un peu fragile (comme dans « Succession »). C’est comme si ce rôle, il l’avait abordé comme un mélange entre les deux !
A noter ici un second rôle tenu par Johnny Flynn, qui donne corps à un certain Ian Flemming, un sous-officier qui observe et commence à réfléchir aux romans d’espionnage qu’il écrira après la Guerre.
Mettant en lumière un épisode mal connu de la Guerre, le scénario nous emmène dans la construction et les périphéries d’une supercherie aussi risquée qu’ingénieuse :
trouver un cadavre, lui inventer une vie, l’affubler d’une lettre confidentielle indiquant à mots couvert un débarquement grec, l’amener en sous-marin au large de l’Espagne franquiste et le larguer en pleine mer. Ensuite, croiser les doigts pour qu’Allemands mettent la main dessus et ne renifle pas le stratagème
. Autant dire que ce plan avait mille raisons d’échouer ! La mise en place de l’opération prend les deux premiers tiers du film,
la destiné du cadavre et de ses papiers le dernier tiers. J’aurais aimé qu’on voit un peu davantage l’Abwehr (les services secrets allemands) au travail, savoir s’ils ont eu des doutes, qu’est ce qu’ils ont entrepris pour vérifier, quel détail a emporté le morceau. Mais de tout cela, nous ne saurons rien, justes quelques conjectures
. En revanche, le scénario laisse un peu pantois quand l’Espagne est décrite à maintes reprises comme un pays neutre. Neutre sur le plan des combats certes, ni à espions certes aussi, mais idéologiquement très pronazie. Alors voir des hauts gradés de l’armée espagnole franquiste jouer les parfaits agents neutres fait un peu rigoler (jaunes). Et puis le scénario se disperse dangereusement avec une histoire d’amour, ou plutôt un triangle amoureux aussi envahissant que bavard. Et en plus, dans le contexte, les petites jalousies amoureuses des deux officiers sont un peu malvenues, je trouve. Cette love story n’était ni nécessaire (et surtout pas dans de telle proportions) ni même utile à l’intrigue. On a l’impression qu’elle faisait partie d’un « cahier des charges » pour intéresser un public plus large. Dernière petite déception, historiquement le film aurait pu faire une petite allusion à une autre immense opération de désinformation qui succèdera à « Chair à pâté ». Quelques mois plus tard, sans doute enhardi par la réussite de l’opération sicilienne, le contre espionnage allié montera une opération encore plus ambitieuse et folle : faire croire à un Débarquement en 1944 dans le Pas-de-Calais, l’opération « Fortitude ». Y faire une mini-allusion à la fin aurait été assez utile. Mais, ô surprise, c’est le film privilégie l’émotion et la tombe de Glyndwr Michael,
SDF londonien psychotique et suicidé mort pour la patrie à son corps défendant.