La dualité entre la vie et la mort est une pulsion qui a souvent été portée à la tragédie et les nombreux supports qui l’ont exploité en témoignent. Kornél Mundruczó, qui n’en est pas à son premier coup d’essai, poursuit son envol à travers maints festivals. Il est possible de le découvrir avec cette fabuleuse et juteuse composition, sublimant ainsi le scénario de Kata Wéber, dont le duo fait rage. Adapté de leur propre pièce de théâtre, le récit nous invite à plonger dans le traitement du deuil et de cette renaissance, si complexe à acquérir et à développer en public. Ce que l’on apprend sur la famille Carson bouleverse ainsi de nombreux questionnements, dont la société a parfois du mal à aborder frontalement, car elle se bride elle-même de toutes sortes de procédures, estimes et conventions. Il ne reste donc plus de place à une certaine passion chez une mère brisée et qui ne pourra pas avoir le privilège de se faire appeler « maman ».
Le point-clé de tout ce projet réside dans cette introduction, en exposant d’abord les profils des protagonistes. Et il ne faudra pas plus de cinq minutes afin que l’on en saisisse les nuances nécessaires pour ce qui arrive et ce qui tourmentera violemment le magnétisme d’un couple. Martha est servie par une Vanessa Kirby prestigieuse et Sean ponctue le retour de Shia LaBeouf, toujours au top, mais qui aura peu de place dans la thérapie. Il s’agit évidemment de surmonter un drame éprouvant et solide pour un plan-séquence qui sert magnifiquement une détresse des plus authentiques. Or, la vingtaine de minutes suffira à bâtir les nombreuses voies que la suite de l’intrigue aura à nous offrir. Nous finissons alors par nous incliner dans le silence, en espérant une compensation de premier choix, si elle existe ou si elle est accessible. Mais ce jeu ne durera qu’un temps, chose que l’on balisera par mois écoulé, sur fond d’un chantier qui cherche à joindre les deux bouts d’un pont. Et ce temps, c’est bien l’eau de ce fleuve, qui s’écoule passivement entre mille douleurs et mille reproches qu’une famille nourrit à l’approche d’un dénouement judiciaire.
D’une mère (Ellen Burstyn), qui conteste une Martha étourdie, à sa seconde fille Anita (Iliza Shlesinger) qui la soutient fermement, le réalisateur hongrois nous agrippe avec justesse dans ce dédale d’émotions qui ne trompent personne. Il filme chacune de ses scènes avec une grande résonance, accentuant ainsi chaque étape du deuil. Si pour Sean, l’affaire ne passera pas le seuil de l’angoisse, celle de Martha nous emmènera bien plus loin, mais encore une fois avec du temps. Cet ingrédient est nécessaire afin de laisser germer et mûrir le fruit qu’elle convoite. On nous renvoie ainsi diverses images qui mettent en scène la disparition de l’être aimé, d’un être qui possède malgré tout un nom et une âme. Ici, celle de Martha se décompose au rythme de sa colère et se recompose au prix d’une acceptation douloureuse et justifiée. Sans doute est-ce un désir d’émancipation, renvoyant ainsi les remords qu’elle enfante au cœur même du tribunal ? Ce qu’elle a en tête nous guide finalement vers une révolte personnelle mais bénéfique, lui réapprenant ainsi comment vivre et exister au sein des institutions et de sa propre famille.
En somme, de « Pieces of a Woman » naît une poésie et une grâce qui se paye au prix du chagrin. Le parcours intime d’une mère sonde le miroir de ses propres échecs et la réconforte dans son éveil de conscience. Et si l’accouchement à domicile a pu nous transmettre toutes ses pulsions les plus crispantes, il nous rappelle que toute cette vitalité ne s’est pas égarée tant que cela. Le temps finit par atténuer les peines et le printemps finira également par succéder à l’hiver, où les méandres se figent plus facilement. Voici un drame à croquer avec passion, en ce début d’année loin d’être aussi frileux qu’on pourrait le penser.