Ce n’est pas le genre de film que spontanément j’avais envie de voir…mais il pleuvait et il passait au Ciné d’Issy à deux pas de chez nous…Ai-je lu Eugénie Grandet dans les années de lycée ??? sans doute mais je n’en ai aucun souvenir alors que je me souviens avoir dévoré Zola, Maupassant et un peu Flaubert…Aussi m’en remettais-je à la version proposée par Marc Dugain, réalisateur mais aussi écrivain à qui l’on doit entre autres « la Chambre des officiers »…immense succès … Félix Grandet (Olivier Gourmet, imposant et convaincant) tonnelier et marchand de vin à Saumur, avare au dernier degré, bien qu’ayant amassé une immense fortune en spéculant sur les ventes de biens nationaux , exerce son pouvoir sur son petit monde et fait vivre une austère existence à son épouse (étonnante Valérie Bonneton) et à sa fille, Eugénie (Joséphine Japy, toute en justesse et délicatesse). Jusqu’au jour où son neveu, un dandy parisien, leur rend visite après la ruine de son père et Eugénie tombe immédiatement amoureuse de son cousin…cette union est impossible, car Charles, le cousin est sans le sou à la suite de la faillite de son père, et le suicide de ce dernier a jeté l’opprobre sur le nom des Grandet. Aussi Félix entreprend de l’éloigner et le dirige vers le commerce des esclaves entre l’Afrique et les Amériques…on présente le roman de Balzac comme une satire féroce du patriarcat…mais c’est avant tout l’image d’une avarice crasse et sordide qui n’a rien à envier à l’Harpagon de Molière…C’est aussi le visage de l’hypocrisie des bourgeois locaux, le notaire et le banquier, qui n’ignorent rien de la fortune de Félix Grandet mais qui ne disent mot et spéculent sur la dot d’Eugenie, avides de lier le destin de leurs fils à celle-ci…En faisant vivre sa famille comme si elle était pauvre, Félix étouffe sa fille et sa femme qui n’ont comme distractions, que d’aller à la messe… les rares scènes de grand air sont celles d’alignements de peupliers, et de vignobles…aucune échappée sur la Loire pourtant proche...A l’inverse des images de fenêtres fermées , des femmes penchées sur leur ouvrage…un pesant huis clos, heureusement sublimé par la photographie de Gilles Porte (qui accompagnait déjà Marc Dugain dans l’excellent « Echange des Princesses ») , qui nous rappelle ces tableaux flamands à la Rembrandt, ces pièces obscures que l’on devine mal chauffée, et ces bougies à la lumière vacillante… Mais adapter, c'est choisir, et si le passionné d'histoire et de littérature qu'est Marc Dugain reste globalement fidèle au roman de Balzac, il s'autorise quelques écarts avec son modèle, principalement en dépeignant sa jeune héroïne sous des traits plus émancipés et revendicatifs que l'écrivain en son temps et en lui donnant une fin plus sereine…sinon plus moderne…étaient-ils nécessaires ces clins d’œil appuyés à la modernité si l’on considère Balzac comme un féministe de son temps ? La reconstitution est parfaitement soignée, les acteurs, tous impeccables …Marc Dugain rend un bel hommage à ce génie du portrait qu’est Balzac, mais ce petit théâtre de la cruauté finit cependant par tourner en rond, l’affectation de la mise en scène prenant le pas sur les enjeux, vite cernés et je suis resté relativement extérieur au film…