Plus de cinquante ans après avoir écrit le scénario de Andreï Roublev avec Andreï Tarkovski, Andrey Konchalovsky s'attaque au parcours d'un autre peintre avec Michel-Ange. Le réalisateur explique : "Après avoir écrit le scénario, je l’ai vu comme une suite, en particulier dans les rapports entre l’artiste et le pouvoir. Il y a un lien entre Roublev et Michel-Ange. Cependant, ce fut plus facile d’écrire sur le premier car l’on ne sait pas grand-chose sur sa vie alors que Michel-Ange a fait l’objet de beaucoup de documentations. J’ai été frappé par l’importance des rapports familiaux. Il n’y a pas d’histoire d’amour avec les femmes mais par contre une grande présence de son père et de ses trois frères. Il y a aussi le problème de la liberté : est-il nécessaire d’être libre pour créer des chefs-d’œuvre ? Roublev aussi bien que Michel-Ange devaient affronter la censure. Pour le premier c’était l’église orthodoxe et pour le second l’inquisition."
"Michel-Ange a été conçu comme une « vision », un genre populaire à la fin du Moyen Âge auquel appartient la Divine Comédie de Dante. Ce dernier pousse le spectateur à de multiples interprétations des personnages comme des événements, éclairant ici la conscience d’un génie : celle d’un homme de la Renaissance avec ses superstitions, ses exaltations, son mysticisme et sa foi. Je voulais montrer non seulement l’essence de Michel-Ange, mais également les couleurs, les odeurs et les saveurs de son époque, sanglante et cruelle mais belle et inspirée. La poésie du film provient de l’entrelacement de la barbarie, omniprésente à l’époque, et de la capacité de l’œil humain à capturer l’éternelle beauté du monde et de l’humanité, qui devrait être transmise aux générations à venir."
Andrey Konchalovsky avait lu un court poème d’un aristocrate qui faisait partie du gouvernement de Florence et qui était un ami de Michel-Ange. Alors qu’il visitait le tombeau des Médicis avec ses sculptures, il dit : "Ce marbre est tellement vivant qu’on attend qu’il se réveille." Michel-Ange a répondu par un autre poème : "C’est mieux de dormir dans une pierre que de vivre dans une époque de honte et de trahison ; alors mon ami, ne me réveille pas". Le cinéaste se rappelle :
"Cet échange m’a sans doute décidé à travailler sur Michel-Ange. J’ai ensuite passé cinq ans à l’étudier. C’est donc un projet très personnel mais il n’était pas question de tourner une biographie. Michel-Ange adorait Dante, en particulier L’Enfer et Le Purgatoire. Il était un grand connaisseur de La Divine Comédie, et il pensait, étant du même pays et de la même culture, être capable de rencontrer l’esprit de Dante."
Durant son parcours on ne peut plus riche, Andrey Konchalovsky a émigré aux Etats-Unis au début des années 1980 où il a pu s'essayer à des genres variés. Il a ainsi réalisé les films d'action Runaway Train et Tango & Cash, emmené par Sylvester Stallone et Kurt Russell !
Ce film réalisé par Andrey Konchalovsky est à l'opposé du long métrage hollywoodien L’Extase et l'agonie (1965) avec Charlton Heston dans le rôle de Michel-Ange. "Dans mon film, la matière, les briques sont néoréalistes mais je suis complètement libre pour l’ensemble du projet architectural. Les gens de Carrare sont de Carrare et ils travaillent le marbre, les Toscans sont des Toscans, ce sont des non-professionnels, et Alberto Testone qui interprète Michel-Ange est un dentiste. J’ai cherché quelqu’un avec le nez cassé car je suis obsédé par les visages. Je connaissais bien Pasolini et je voulais un homme qui lui ressemble avec son physique émacié. Après trois mois de recherche, en particulier parmi les boxeurs, j’ai eu la chance de trouver ce dentiste", précise le cinéaste.
L’Italie a su préserver son passé architectural, ce qui a facilité la tâche en termes de décors, mais Andrey Konchalovsky n'a pas pu filmer dans Florence pour des raisons techniques. Le cinéaste a dû choisir d’autres lieux à Arezzo, Montepulciano et dans plusieurs petites villes de Toscane dont les bâtiments avaient été construits sur le modèle architectural des Médicis. Il se souvient :
"Chaque époque a son odeur et il me fallait retrouver celle de la Renaissance. À la fin d’un poème de Pasternak sur Shakespeare, celui-ci voit une trattoria. Puis, il parle avec lui-même et il aperçoit au coin d’une rue le fantôme du diable comme le spectre de Satan chez Dostoïevski. Shakespeare veut croire que le diable est réel. Cette perception est très intéressante pour comprendre la psychologie des gens de la Renaissance. Voilà une représentation de l’odeur de cette époque."
Alberto Testone, acteur et scénariste, naît en 1963 dans une banlieue de Rome. Il découvre le cinéma à l’âge de 11 ans et participe à plusieurs ateliers de théâtre. En 2006, il met en scène Lo quanti sono dont il est auteur et interprète et étudie la comédie au Teatro Eliseo. Puis, il interprète plusieurs rôles dans des séries télévisées dont Il Peccato e la Vergogna (2013) réalisée par Luigi Parisi, Una pallottola nel cuore (2016), In arte Nino (2016) et Alberto (2019) toutes réalisées par Luca Manfredi. En 2011, Testone écrit, produit et coréalise avec Stefano Petti le documentaire Fatti Corsari sur la vie du réalisateur Pier Paolo Pasolini. Présenté au Festival du Film de Turin en 2012, il remporte le Prix Spécial du Jury du Meilleur documentaire italien et le Prix AVANTI. En 2012, Alberto Testone interprète son premier rôle principal, celui de Pasolini dans La Verità Nascosta de Federico Bruno.