C’est un article de Society, sur un agriculteur déprimé, qui a donné l’idée du film à Xavier Beauvois. Cet homme était en fuite et lorsque les gendarmes l’ont trouvé dans sa voiture, il leur a foncé dessus. Les forces de l'ordre lui ont alors tiré dessus et tué. Le réalisateur explique : "J’ai transposé ça à Etretat où les gendarmes sont mes potes. Je connais aussi des agriculteurs du coin, on sait ce qu’ils gagnent. En France, il y a 3 000 fermes à vendre, un suicide par jour... Les agriculteurs laitiers travaillent à perte. Je les vois bosser autour de ma maison, ils se lèvent tôt, finissent tard, n’ont ni vacances, ni week-ends. La Normandie paraît riche mais c’est une fausse image."
Xavier Beauvois a voulu montrer ce qui fait le quotidien des gendarmes, à savoir les suicides, agressions sexuelles, drames familiaux, opération de déminage ou tout simplement l’alcoolique qu’on essaye de ramener chez lui. Il explique : "Je montre que les gendarmes ne sont pas là uniquement pour punir, mais aussi et surtout pour protéger. Dans le travail des gendarmes, il y a une dimension d’assistance sociale. Ce qui m’a étonné en observant leur quotidien, c’est la délation ! Ils reçoivent très souvent des lettres de dénonciation anonymes : « Machin roule sans permis... Untel n’a pas d’assurance... etc. » C’est dément ! Les gendarmes n’aiment pas trop ça."
Les personnages évoluent dans le pays de Caux, où Xavier Beauvois habite. Le cinéaste avait déjà filmé la Normandie dans Selon Matthieu (2000) : "Les lumières d’ici sont spéciales, uniques, c’est quand même au Havre qu’on a inventé l’impressionnisme. C’était bien de filmer ici aussi pour Madeleine, ma fille, car elle pouvait aller à son école. La scène où elle chante à la chorale, c’est un beau cadeau, pour elle et pour moi. Mais j’aime bien aussi faire un film ailleurs, pour y découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles personnes."
Xavier Beauvois connait bien les gendarmes d’Etretat et a eu la chance de pouvoir tourner dans la vraie gendarmerie. Le metteur en scène précise : "Une gendarmerie, ce n’est pas seulement les bureaux, il y a aussi l’extérieur, les pavillons, c’est comme une caserne. J’ai pu la filmer de loin, depuis la falaise, c’est un peu comme un personnage du film."
Xavier Beauvois a confié le premier personnage féminin à Marie-Julie Maille, sa monteuse et compagne. Elle avait déjà eu un petit rôle dans Les Gardiennes, celui d’une femme à qui on annonce que son mari est mort à la guerre. "Je ne l’ai pas dirigée plus que Jérémie. Parfois, Jean-Pierre Duret, l’ingénieur du son, lui disait de parler moins vite, c’est tout. Les acteurs, on les dirige quand ça ne va pas. Quand ça va, il n’y a rien à dire. L’idée de l’acteur est de s’abandonner dans les bras du metteur en scène, d’être regardé. Et s’abandonner, ça signifie ne pas réfléchir, ne pas se regarder. Si on se regarde en même temps qu’on joue, ça ne fonctionne pas", se rappelle le réalisateur.
Xavier Beauvois a confié des rôles importants à des non professionnels comme Geoffroy Sery qui joue Julien, l’agriculteur dépressif, ou Olivier Pequery qui campe l’ancien de la brigade : "Olivier Pequery, on le surnomme maintenant le père Boulard, parce qu’il a un peu pris la grosse tête ! Je lui ai offert son siège avec son nom dessus. C’est un vrai gendarme d’Étretat, il a été très bon sur le plateau. Et Geoffroy est un agriculteur du coin qu’on a découvert en faisant un casting dans la région. D’habitude, Karen, ma directrice de casting, me montre les vidéos d’essais. Et là, elle m’a dit « viens voir » et m’a présenté Geoffroy en chair et en os. Ensuite, j’ai vu les essais... waow, il déchirait ! Je l’ai pris tout de suite."
Dans Albatros, Xavier Beauvois refait équipe avec Iris Bry, découverte sur son précédent film Les Gardiennes : "Au début, je n’avais pas pensé à une gendarme. Puis je suis allé à un pot de départ à la gendarmerie de Fécamp et beaucoup de gendarmes femmes étaient présentes. J’ai réalisé que c’était bête de ne pas avoir pensé à une gendarme et à Iris. Je lui ai fait faire des essais en costume, et c’était bon."
Xavier Beauvois collabore pour la première fois avec le directeur de la photographie Julien Hirsch (Caroline Champetier n'étant pas disponible). Il raconte : "Il m’a fait découvrir le "stab one", un harnachement qui fait que c’est comme filmer caméra à l’épaule, mais l’image est stable : l’image ne bouge pas d’un millimètre, comme si la caméra était sur pied. La caméra à l’épaule avec l’image qui branle façon reportage, je ne supporte pas ! Le "stab one" signifiait que je pouvais faire des travellings sans rails, ce qui fait gagner énormément de temps et décuple les possibilités. Un outil merveilleux. Julien connaissait déjà bien la région, les lumières d’ici, le travail s’est passé dans une grande simplicité."
A noter la présence de Madeleine, fille de Xavier Beauvois, pour jouer la fille du couple. "Je ne l’ai pas beaucoup dirigée non plus. Parfois, elle voyait même des détails que personne n’avait vus, des histoires de raccord. Dans une scène, elle a demandé à Duret jusqu’où elle pouvait monter un escalier pour qu’il ait le bon son. Madeleine, c’est déjà une pro ! Dans une autre scène, en voiture, elle voit une inscription où son père est traité d’assassin. Pas évident de jouer ça, sans dialogue, avec juste des regards. Et bien ça s’est très bien passé", précise le metteur en scène.
Pendant un mois, Jérémie Renier s'est immergé dans la gendarmerie d’Etretat. Comme l'acteur a tourné avec de vrais gendarmes, il tenait à être crédible à leurs yeux et à ceux du public. Il se souvient : "J’ai eu la chance de tomber sur une gendarmerie très à l’écoute, très curieuse et heureuse de m’accueillir, et je tiens à profiter de cet échange pour les remercier chaleureusement. Il y a eu la préparation en immersion avec eux, puis le tournage où j’avais pour partenaires de vrais gendarmes d’Étretat : pendant tout le processus du film, j’étais donc avec eux en permanence, dans une confrontation entre la réalité et l’exigence de réalisme, et dans la découverte de qui sont ces hommes."