J'aime le cinéma de Xavier Beauvois parce qu'il est toujours digne. Noble. Dépourvu de tous ces petits tics à la mode, de toutes ces petites vulgarités qui émaillent le cinéma français. Chez lui, on respire pur, et haut. Il n'a pas eu peur de magnifier des religieux en terre coloniale; aujourd'hui il n'a pas peur de magnifier des gendarmes. Tout pour se faire détester d'une certaine intelligentsia.....
Laurent (Jérémie Renier, épatant) est responsable d'une petite gendarmerie à Etretat (Iris Bry est une délicieuse gendarmette..). Il est heureux, épanoui, bien dans sa peau. Il va épouser sa compagne de dix ans, Marie (Marie-Julie Maille), et tient à ce qu'elle s'achète une belle robe blanche, longue -Marie n'est pas tellement frou-frous.... et ils ont une adorable petite fille (Madeleine Beauvois)
Tout le monde se connait. Tout le monde se tutoie. Certains sont devenus plus que des "administrés": des amis. Le temps passe à raccompagner des poivrots chez eux, à sermonner des ados qui font les idiots sans casque sur leur mob; de temps en temps il y a du plus lourd: des incestes sur très jeunes enfants; des suicidés -ces falaises, c'est tentant! Le film commence d'ailleurs par une petite note comique qui ne présage en rien de ce qui va suivre: le suicidé atterrit sur la plage juste au moment où un couple de jeunes mariés japonais est en train de poser pour des photos glamours....
Le fait est là: arrivé à la quarantaine, Laurent n'a jamais eu l'occasion de tirer sur personne....
Un petit problème: Julien (Geoffroy Sery, épatant lui aussi, mais ils le sont tous). Julien est éleveur, un peu baba cool avec ses dreadlocks, du genre à être contre les lois et les règles; il vit seul avec sa soeur, et il est en conflit permanent avec la DDPP. Il survit déjà avec 300€ par mois, alors s'il faut donner plus d'espace aux bêtes, il ne s'en sort pas! Mais les gendarmes sont là pour faire respecter la loi, quoiqu'ils en pensent. Julien prend la fuite, avec un fusil. Il faut le retrouver.... et le sauver de lui même, de cet état dépressif dans lequel il s'est enfermé....
Ce qui arrive, Laurent ne le supporte pas. Lui aussi s'enfonce dans une profonde dépression, malgré le témoignage du jeune gendarme qui l'accompagnait (Victor Belmondo), malgré le soutien du milieu, jusqu'à ses supérieurs de la gendarmerie. Bel esprit de corps, vu, peut être, avec des lunettes excessivement roses? Et il y a la Confédération Paysanne qui exploite la situation et porte plainte contre Laurent. On les comprend, d'ailleurs. Chaque jour, un suicide d'agriculteur. Alors, comment ne pas profiter de l'actualité.... En tous cas, Laurent sombre. Ni sa famille, ni ses collègues ne peuvent l'en sortir, de ce trou noir. Il reste la mer, celle qui ne fait pas de cadeau. Son arrière grand père terre-neuvas est péri en mer, et il a laissé la maquette d'un beau trois mats, l'Albatros.... La deuxième partie du film prend une direction inattendue.
Cette oeuvre, par ailleurs magnifiquement filmée -(des images sont de véritables marines de Marquet....) ...elle est belle, cette Normandie dans la boue, sous son ciel d'hiver!- pose de vraies questions; sur la vie paysanne, d'une part, harcelée par les bureaucrates et les fonctionnaires; sur la formation des gendarmes. Discuter avec un suicidaire, c'est un métier; il y a des gens formés pour ça, ceux qui interviennent aussi dans les prises d'otages. Et on demande aux forces de l'ordre, avec une formation essentiellement militaire, de répondre à des problèmes psychologiques.... Bref en sortant de ce superbe film, vous réfléchissez à beaucoup de choses, et c'est aussi cela, l'honneur du cinéma. Nous parler des vrais problèmes de notre société, de notre vie, et arrêter avec les états d'âme d'une petite bourgeoise qui se demande si demain elle couchera avec une fille ou avec un garçon.