Comme à l'accoutumée, l'instant Cannes au mois de mai me permet de regarder des métrages oscarisés, césarisés et/ou palmés. Cette année, j'ai décidé de me regarder des films oscarisés qui ont obtenu plus de sept récompenses durant les cérémonies. « Autant en emporte le vent » marque l'ouverture de mon cycle. Suivent l'aventure redfordienne « Out of Africa » (critique déjà publiée), le western « Danse avec les loups », le film de guerre « La liste de Schindler » (critique également publiée) et le naufrage « Titanic » (la critique est en ligne elle aussi). Ma sélection cannoise se clôt par « Slumdog millionaire » (auquel ma critique figure elle aussi) réalisé par l'anglais Danny Boyle.
Mais revenons un peu à « Autant en emporte le vent », LE classique du septième art par excellence. Il s'agit pour moi d'un film à avoir vu au moins une fois dans sa vie tant il fait partie de la mémoire collective du cinéma.
Il s'agit de l'unique œuvre écrite de Margaret Mitchell qui mit 10 ans à sortir dès l'entame de rédaction de 1926. Le livre sort donc en 1936 et David O. Selznick en acquiert les droits pour le cinéma à peine un mois plus tard. Selznick avait déjà une vue d'ensemble pour l'adaptation de ce roman puisque c'est lui qui supervisa le projet global. Il avait déjà de l'expérience en tant que producteur : « La chasse du comte Zaroff », le « King Kong » de 1933 et « David Copperfield » de Cukor figure déjà sur son CV. Il se fait ainsi référent de ce long-métrage dont le tournage ne commencera qu'en 1939 suite à des déboires de choix de scénarii (plusieurs auteurs se succédèrent... et se cassèrent les dents par la même occasion), de casting (toujours pas d'héroïne le premier jour des prises de vue !), et de réalisateurs pendant le tournage (Cukor, Fleming et Sam Wood font partie des principaux). Selznick supervisa ainsi l'adaptation d'un roman réputé inadaptable en raison des codes de racisme encore en vigueur malgré l’abolition de l'esclavage quelques décennies plus tôt.
Pour parler du film en lui-même, autant retranscrire le scénario. En 1861, aux Etats-Unis, Scarlett, une jeune femme des plus en vue de la bourgeoisie sudiste, courtisée de tous les côtés, n'a d'yeux que pour Ashley. Ce dernier est promis à la cousine timide de Scarlett, Melanie. En revanche, c'est d'un certain Rhett Butler, un nordiste, que Scarlett retient l'attention. Ashley envoyé au combat lors de la déclaration de la guerre, Scarlett va rejoindre Melanie... et recroiser le route de Butler !
Véritable saga familiale sur fond de Guerre de Sécession, ce métrage a de particulier qu'on peut le discerner en plusieurs parties distinctes : l'avant-guerre, Atlanta en guerre, terre de désolation, la revenue des cousines chez elles, l'ascension du couple Scarlett-Rhett, et la fragilisation/déchéance de leur amour. Sous certains angles (lorsqu'on entend parler crise), le propos sonne toujours d'actualité, 76 ans (sic !!) après le commencement de cette œuvre que je peux qualifier ainsi d'atypique.
En parlant d'Atlanta en guerre, on peut remarquer une scène d'anthologie : celle où Scarlett se trouve en plein milieu d'un champ de morts. La caméra part du visage de Scarlett pour terminer sur une vision de ce chant de tués (mouvement de contre plongée arrière). Mémorable (!) pour ma part. Tout comme l'incendie d'Atlanta, filmé par sept caméras seulement !!
La MGM a d'ailleurs détruit les décors de « King Kong », du « Jardin d'Allah » (avec Dietrich) et de « Little Lord Fauntleroy » (de John Cromwell) pour parvenir à de telles fins. Les couleurs rouges flamboyantes qui en ressortent sont dantesques (pour l’époque), car il s’agit de caméras Technicolor trichrome, procédé cinématographique révolutionnaire qui a été testé pour la première fois sur « Becky Sharp » (avec Nigel Bruce au casting). Les couleurs s’échelonnent ainsi dans le temps pour arriver à un niveau de démesure insoupçonnable dans la demeure du couple Rhett-Scarlett. Je reviendrai sur ce point plus tard. Les couleurs, tout au long du film, ont ainsi leur importance. Elles montrent le jusqu’au boutisme du sujet filmé pour renforcer cette sensation de mal-être : la force de conviction de Scarlett, l’effroi de Melanie, l’état narcissique de Rhett, le visage mortifère d’Ashley. Toutes ces teintes sont le vecteur d’une partie de nos émotions qu’on éprouve lorsque l’on regarde « Autant en emporte le vent ».
Tout comme la musique de Max Steiner, impétueuse et aux accents ondulatoires désuets qui marquent toujours autant ce charme vieil école qui fait toujours plaisir à entendre. Merci Max ! Compositeur d’époque, inclassable : « Les quatre filles du Dr March », « L’impossible Monsieur bébé », « Sergent York », « Casablanca », « La prisonnière du désert »… . Cette bande originale nous donnera quelques vertiges… d’amour !, bien sûr (ironie).
Avant d’évoquer l’implacable mise en scène, comment passer à côté des acteurs ? « Gone with the wind », c’est le duo Vivien Leigh/Clark Gable. C’est aussi Olivia de Havilland, Leslie Howard. Et surtout Hattie McDaniel. Et la toute jeune Cammie King.
Un point Vivien Leigh (elle accède à la gloire internationale pour le rôle de Scarlett) d’abord. Elle tient le film sur ses épaules d’une force inouïe. Elle a cette classe à l’anglaise qui donne au métrage cette sensation parfois de malaise, parfois de punch, et d’un self-control à toute épreuve. Un rôle de cœur, de composition et de puissance dramatique intense. Vivien Leigh est excellente et nous écrase sur son passage. Merci Madame Leigh ! Un rôle costaud, du sur-mesure, et ça c’est parfait : que du bonheur !!
Elle forme avec Clark Gable (le Rhett rêveur, narcissique mais autoritaire) le couple glamour digne du vieil Hollywood. Notre bon vieux Clark (la star de « New York-Miami ») représente la douceur alors que Madame Leigh la candeur. A eux deux, ils forment un couple charismatique qui traverse les épreuves. Un Clark Gable sobre donc et dont l’aura repose encore sur ces épaules. Leigh/Gable : un couple de cinéma anthologique indissociable de cette œuvre.
Madame Flynn (Olivia) assure le personnage de Melanie, timide maladive mais attentionnée et aimante. Un très bon rôle, riche et soignée, qui doit faire partie de ses meilleures interprétations. Bravo Madame de Havilland. J’en redemande ! Avec son visage de déterré, Leslie Howard (connu par ce film, il réalisa son « Pygmalion » l’année précédente) livre lui aussi une interprétation parfaite. Il incarne un Ashley plus vrai que nature, meurtri par la guerre. Une belle gueule cassée, une composition qui tient la hauteur face à l’antiduo Leigh/de Havilland. Il s’agit pour moi d’une interprétation au cordeau. L’une de ses meilleures sans aucun doute. Pour son rôle de comique de service aujourd’hui, Hattie McDaniel, la servante (revue chez Michael Curtiz deux ans plus tard), reçut l’Oscar du meilleur second rôle féminin en 1940 : elle fut la première comédienne noire nommée et récompensée par l’académie ( !). Cammie King, la fille du duo Gable/Leigh, seulement âgée de 4 ans, prouve déjà beaucoup et doublera le dessin animé « Bambi » trois ans plus tard : sa carrière s’arrêtera nette.
Un casting solide ancré à jamais pour « Gone with the wind ».
La durée du métrage ? Quasiment quatre heures. Manque de rythme de la part de la mise en scène ? Aucun. Ennui ? Très léger. Points négatifs ? Zéro.
Je reviens sur un dernier point. Les couleurs englobant le couple Gable/Leigh durant la scène avant le viol, le jeu du couple, les décors ainsi que la mise en scène m’a fait penser à cet instant précis à du Visconti en raison de l’importance de l’ambiance glauque, misérable et orgueilleuse à souhait, et le tout dans une décadence (déjà dans les propos de Gable) mirobolante au possible. Ces jeux de lumière, d’interprétation et de déchéance humaine ont tout d’un Visconti mineur en devenir (je pense bien sûr au « Guépard », « Mort à Venise », « Les damnés », tous ces chefs d’œuvres baroques). Et pourtant nous ne sommes qu’en 1939 ! Le point mise en scène se résume à cela. Tout s’enchaîne et se déchaîne pour la vie des protagonistes diaboliquement bien filmée par Wood, Cukor ou Victor Fleming. Et une mise en scène sur 4 heures, c’est ce que j’appelle un exercice de style. Une leçon de cinéma à part entière !! Surtout quand je parle de Visconti avant l’heure.
Pour terminer, « Gone with the wind », le plus grand succès de tous les temps, n’a pas à démériter de la pluie de récompenses (10 oscars !) qui s’est abattu sur lui un soir de 1940.
« Autant en emporte le vent » : film culte, mythique, anthologique, classique américain. LE Classique par excellence.
Spectateurs, un spectacle unique à qui veut. Pour une culture cinématographique complète. Attention, chef d’œuvre assuré !!!
3 étoiles sur 4.